Père Jerzy Popiełuszko : « Vaincre le mal par le bien »

Le quotidien L’Opinion a rendu hommage à traver plusieurs articles à l’aumônier du mouvement Solidarnosc, le Père Jerzy Popieluszko, lâchement assassiné il y a 40 ans. Il était connu par sa non-violence. Son message mérite le détour, aujourd’hui plus que jamais.


Le Père Jerzy Popiełuszko, héros national polonais, aumônier du mouvement Solidarnosc, a été abattu par les communistes il y a 40 ans. Sa mort a profondément ému les Polonais et a été considérée comme un martyr. Le Père Jerzy était un prêtre de 37 ans de l'archidiocèse de Varsovie qui a exercé son ministère sacerdotal dans une Pologne sous régime communiste. Il était l'aumônier du mouvement national Solidarnosc et est devenu une véritable figure d'autorité pour les Polonais, un éveilleur de conscience et un héros incarnant les aspirations de la nation à la liberté. Le régime communiste a déclenché une campagne de calomnies et de provocations contre lui, et quand cela n'a pas fonctionné, il a été enlevé, torturé et brutalement assassiné. Le pape Benoît XVI a jugé que le Père Jerzy avait perdu sa vie pour la foi, les idéaux chrétiens de vérité et d'amour du prochain. Le message le plus important du Père Jerzy était de vaincre le mal par le bien, en appelant à ne pas répondre de la même manière à la méchanceté, à la violence et aux traitements inhumains. Sa vie et son œuvre devraient devenir un sujet de réflexion pour tous ceux qui veulent rendre le monde meilleur.

• Andrzej Duda, président de la République de Pologne

Le Père Jerzy Popiełuszko, héros national polonais, protecteur spirituel du mouvement Solidarnosc, est abattu par les communistes il y a 40 ans tout juste, en octobre 1984. Dès les premiers jours qui ont suivi sa mort, il fut considéré en Pologne comme un martyr.

IL Y A QUARANTE ANS, ma patrie, la Pologne, partie intégrante du bloc de l’Est, se trouvait sous le régime d’une dictature communiste. En octobre 1984, la télévision d’État informait que le Père Jerzy Popiełuszko, prédicateur charismatique, avait été enlevé et que des agents du Service de sécurité (SB), autrement dit de la police politique du régime rouge, « ayant agi de leur propre chef », seraient impliqués. Le corps du prêtre fut bientôt retrouvé. Les experts n’en doutaient pas : il s’agissait d’un meurtre précédé d’actes de torture.

La nouvelle a bouleversé la société polonaise. À Varsovie, plus de 600 000 personnes, dont des délégations de travailleurs venus de tout le pays, ont accompagné le prêtre assassiné sur le dernier chemin. Qui était ce prêtre de 37 ans de l’archidiocèse de Varsovie, dont la mort a si profondément ému des millions de Polonais ? Pourquoi, en 2010, fut-il déclaré bienheureux par l’Église catholique ?

Pour le comprendre, il faut remonter le temps jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Le 1er septembre 1939, le Troisième Reich allemand a lancé une agression armée contre le territoire de la République de Pologne. Puis, conformément au pacte Ribbentrop- Molotov, conclu le 23 août de la même année, les troupes soviétiques ont attaqué la Pologne le 17 septembre, occupant une large bande de ses terres orientales. La République en tant qu’État s’est effondrée, mais en tant qu’État polonais clandestin bientôt établi, elle a opposé une résistance constante aux envahisseurs, en étroite coopération avec les Alliés.

Esclavage. Entre novembre 1943 et août 1945, lors des conférences de Téhéran, Yalta et Potsdam, les dirigeants des États-Unis d’Amérique, de la Grande-Bretagne et de l’Union soviétique se sont mis d’accord sur les principes d’un nouvel ordre en Europe. Ils ont également décidé du sort de la Pologne, un pays qui, depuis mille ans avait eu sa part dans l’établissement de la culture occidentale, un pays qui avait été le premier à résister à l’invasion armée du Troisième Reich et qui non seulement n’avait jamais collaboré avec l’Allemagne nazie, mais qui avait également soutenu les troupes alliées avec des milliers de ses soldats sur tous les fronts de la lutte contre les hitlériens.

Hélas, à la suite des arrangements entre les Trois Grands, ma patrie, bien qu’officiellement libérée, est restée en réalité sous la domination des Soviétiques. Après la tragédie de l’occupation criminelle allemande, la fin de la Seconde Guerre mondiale a apporté aux Polonais non pas la liberté et le développement, mais l’esclavage communiste, les garnisons permanentes de l’Armée rouge et la subordination coloniale à l’empire, avec Moscou pour capitale.

Le pouvoir communiste, basé sur la dépendance à l’égard des Soviétiques, et son idéologie totalitaire étaient à l’opposé des idéaux et des aspirations les plus chers aux Polonais, à savoir un État souverain, le respect de la tradition chrétienne et de la liberté religieuse, une économie basée sur la propriété privée et le solidarisme social, ainsi que la volonté de rattraper les retards causés par la destruction du pays lors des deux conflits mondiaux. Malheureusement, les craintes des patriotes polonais se sont confirmées. Les effets de l’installation du communisme en Pologne furent similaires à ceux observés ailleurs dans le monde : exploitation politique et économique par l’URSS, économie inefficace, paupérisation généralisée, travail au-dessus des forces humaines, privilèges de « l’aristocratie rouge » oisive, piétinement systémique des droits de l’homme et de la culture nationale authentique, censure stricte et État policier, procès spectacles, pacifications sanglantes des protestations ouvrières, meurtres et autres crimes de l’appareil de répression agissant en toute impunité.

Vérité. La vie sociale dans la Pologne dirigée par les communistes fut empoisonnée par des phénomènes décrits de manière prophétique par George Orwell dans 1984, son roman au titre significatif. Parmi eux, par exemple, la novlangue et la double pensée, ou encore des manifestations publiques de haine envers les personnes qualifiées d’« ennemis du peuple » par les autorités. Pour être considéré comme tel, il n’était pas nécessaire d’appeler à un renversement du régime et de critiquer ses erreurs et sa méchanceté. Il suffisait d’évoquer des faits avérés et utiliser – dans le respect de leur sens originel – des notions telles que la liberté, la justice, la dignité de l’homme et du travailleur, la solidarité. Il suffisait de parler du mal qu’est la tyrannie de la peur et de l’opportunisme, de la vérité comme valeur non seulement dans la vie individuelle, mais aussi dans la vie collective, de la vision chrétienne de la société et de l’amour de la patrie. Il suffisait de rester calme face aux pressions et au harcèlement, de prier publiquement pour les opposants persécutés et emprisonnés, d’apporter un soutien spirituel et moral aux personnes intérieurement libres.

C’est dans ces réalités de la vie qu’exerçait son ministère sacerdotal Jerzy Popiełuszko. Aumônier du mouvement national Solidarnosc – fondé lors de la vague de grèves massives de 1980, bientôt interdit et poussé à poursuivre ses activités dans la clandestinité –, le Père Jerzy est devenu une véritable figure d’autorité pour les Polonais, un éveilleur de conscience, un héros incarnant les aspirations de la nation à la liberté. Les foules venaient assister à ses fameuses messes pour la patrie et ses sermons enflammés et édifiants circulaient dans tout le pays, sous forme d’enregistrements audio et de publications clandestines. Son service pastoral auprès des travailleurs et de l’opposition démocratique lui a valu la réputation d’un guide spirituel et d’un protecteur pleinement dévoué à sa vocation.

En réponse, le régime communiste a déclenché une campagne de calomnies, de provocations et de moqueries visant le Père Popiełuszko. Il a eu recours à l’intimidation et aux agressions physiques. Et quand cela n’a pas fonctionné, le courageux prêtre fut enlevé, torturé et brutalement assassiné par trois agents membres d’une cellule spéciale au sein du Service de sécurité, chargée de la lutte contre l’Église catholique en Pologne. Les circonstances du meurtre n’ont toujours pas été entièrement révélées, et le déroulement de l’enquête et du procès ne cesse de susciter des doutes. Les auteurs du meurtre furent libérés bien avant l’expiration de leurs longues peines de prison.

« Il apporte au monde un message d’espérance et porte le sens d’un effort persistant vers la paix et la justice »

Sacrifice. Dès les premiers jours après la mort du Père Jerzy Popiełuszko, il fut traité en Pologne comme un martyr, c’est-à-dire comme une personne qui, par son attitude, avait témoigné de sa fidélité héroïque à l’Évangile. Le pape Benoît XVI a jugé que l’aumônier de Solidarité avait perdu sa vie pour la foi, les idéaux chrétiens de vérité et d’amour du prochain. Pour avoir risqué sa vie, en apportant un réconfort religieux à ceux qui étaient dans l’oppression, en tant que personnes et en tant que chrétiens.

Mais le message le plus important, universel et toujours d’actualité du Père Jerzy étaient les paroles de l’apôtre Paul, extrait de son Épître aux Romains : « Vainc le mal par le bien ». Le prêtre a toujours appelé à ne pas répondre de la même manière à la méchanceté, à la violence et aux traitements inhumains. Il a averti que répondre au mal par le mal nous amènerait en fin de compte à nous demander : qu’avons-nous réellement gagné si, en gagnant, nous sommes devenus comme nos persécuteurs ?

Lui-même a choisi la voie du don de sa personne et du sacrifice jusqu’au bout pour être fidèle à ses valeurs.

Je reste persuadé que la vie et l’œuvre du Père Jerzy Popiełuszko, sa victoire posthume sur le système communiste de mensonge et d’oppression ainsi que son appel à « vaincre le mal par le bien » devraient devenir un sujet de réflexion pour tous ceux qui veulent rendre le monde meilleur. En effet, la figure du Père Jerzy apporte au monde un message d’espérance et porte le sens d’un effort persistant vers la paix et la justice.

L’Opinion - le 18 octobre 2024

Une figure emblématique

Le Père Jerzy Popiełuszko, prêtre polonais torturé à mort par la police politique dans les années 1980 sous la loi martiale, est devenu une figure emblématique non seulement pour les Polonais, mais pour le monde.

Ses paroles sur la nécessité de "vaincre le mal par le bien" ont inspiré le mouvement pacifique Solidarnosc et posé les bases de la conscience de la génération de l'auteur.

Aujourd'hui, alors que la Pologne fait face à de nouveaux défis, l'auteur estime que l'exemple du Père Jerzy, qui a sacrifié sa vie pour la démocratie et la dignité humaine, reste un modèle pour les jeunes et une source d'inspiration pour répondre aux questions qui se posent.

L'éthique et la morale défendues par le Père Jerzy, qui sont les fondements de la civilisation européenne, semblent parfois oubliées, mais restent essentielles, en particulier pour les pays d'Europe centrale qui ont su renaître après de grandes épreuves.

« Une figure emblématique à travers le monde »

Par Eryk Mistewicz, président de l’Instytut Nowych Mediów

QUE CE SOIT à Paris ou en province, de nombreux quinquagénaires me disent ne pas avoir oublié ce prêtre torturé à mort par la police politique, au milieu des années 1980, du temps de la loi martiale tournée contre la société polonaise par le pouvoir communiste en place. Le Père Jerzy, au nom de famille difficile à prononcer – Popiełuszko –, a posé les bases de la conscience de notre génération. En raison de la manière dont il demandait que soient traités ses opposants, il fut comparé à Mahatma Gandhi. « Vaincre le mal par le bien », répétait-il. Et ces paroles ont apporté un fort aspect éthique au mouvement pacifique Solidarnosc.

C’est notre Histoire commune, l’Histoire commune de l’Europe. Le P. Jerzy Popiełuszko nous a conduits vers l’époque où la solidarité et la démocratie ont bâti une Europe des nations libres. Nous sommes confrontés aujourd’hui à de nombreux défis, tant en France qu’en Pologne, mais c’est dans l’Histoire, à travers les héros de nos pays, que nous pouvons trouver des modèles pour les jeunes et des réponses aux questions qui s’imposent.

L’éthique, la morale – celles sur lesquelles s’appuyait le Père Jerzy – semblent être des notions d’une époque révolue. Et pourtant, il s’agit des fondements de notre civilisation : liberté, souveraineté, autodétermination des nations libres, coopération, au-delà des frontières, dans les domaines importants. L’avenir de la Pologne et des autres pays d’Europe centrale est bâti sur de solides fondements identitaires. La démocratie, sujet de débats enflammés dans certains pays, a dans les nôtres le prix de la vie de ceux qui se sont sacrifiés pour elle. Comme le Père Jerzy.

Renaître. Nombreuses sont les leçons tirées de l’Histoire par les nations d’Europe centrale. Les Polonais, Ukrainiens, Tchèques, Lituaniens et autres peuples de la région savent que la dignité humaine et la liberté sont les valeurs les plus élevées. Que la dignité est inhérente à chaque être humain et que la liberté est inaliénable. Que la force d’une nation réside dans sa capacité à renaître même après les plus grands désastres : après la perte de son État, de ses territoires, comme cela s’est produit à maintes reprises pour les nations d’Europe centrale. Cela nous est rappelé par les textes d’Andrzej Duda, président polonais, et de Karol Nawrocki, président de l’Institut polonais de la Mémoire nationale, rédigés conjointement pour le mensuel Wszystko Co Najważniejsze et l’Opinion.

Ce n’est pas sans raison que tous les hommes politiques mondiaux qui comptent sont venus rendre hommage au Père Jerzy sur sa tombe, à Varsovie. La preuve qu’il reste une figure emblématique, non seulement pour nous, Polonais, mais pour le monde.

Aujourd’hui, alors que nous soutenons nos amis ukrainiens, dont près de 3 millions ont trouvé refuge en Pologne, que nous développons notre économie et nos entreprises, en construisant le plus grand aéroport des pays d’Europe centrale, nous basons nos actions sur ce qui nous a façonnés. Sur nos professeurs, et nos maîtres, parmi lesquels, dans ma génération, figurait le P. Jerzy Popiełuszko. Un prêtre courageux qui nous a appris à combattre sans violence.

L’Opinion - le 18 octobre 2024


« Un courageux combattant pour la liberté »

Ce dernier article de l’Opinion consacré à la figure exemplaire du Père Jerzy Popiełuszko porte sur toutes les persécutions qu’il avait subies avant son assassinat, il y a quelque 40 ans.

Popiełuszko a subi de nombreuses persécutions de la part des autorités communistes pour avoir soutenu les militants de Solidarnosc et dénoncé leurs abus. Il a finalement été enlevé et assassiné en 1984 par la police politique.

Ses funérailles ont rassemblé des centaines de milliers de personnes et il est devenu un symbole de la lutte pour la liberté en Pologne. Aujourd'huisa mémoire est honorée chaque année par une Journée nationale du souvenir du clergé insoumis., 

PEU AVANT NEUF HEURES DU MATIN, une limousine portant une plaque diplomatique s’est arrêtée devant l’église Saint-Stanislas-Kostka. « Vive George Bush », scandaient une foule de plusieurs milliers de Varsoviens, à l’ouverture de la portière de la voiture. Le vice-président américain s’est rendu sur la tombe du Père Jerzy Popiełuszko pour y déposer un bouquet de fleurs. « En la personne du Père Jerzy, le monde a perdu un courageux combattant pour la liberté, mais son sacrifice n’a pas été vain », a déclaré Bush père ce matin-là. Et de terminer son bref discours par des mots prononcés en polonais : « Za naszą i waszą wolność » (« Pour notre et votre liberté »). Puis, il a pointé sa main vers le haut, en formant un « V » avec ses doigts – le signe de victoire.


Cela s’est produit le 28 septembre 1987. La Pologne – tout comme une importante partie de l’Europe centrale et orientale – se trouvait toujours sous le joug de la dictature communiste et de la domination soviétique. Au cours de sa visite de plusieurs jours, l’homme politique américain a multiplié des entretiens avec des représentants des autorités du pays, mais aussi de l’opposition démocratique – non reconnue par ces dernières – issus principalement du syndicat Solidarnosc. Ce n’était pas par hasard que Bush a recouvert le bouquet déposé sur la tombe de Popiełuszko d’un drapeau à l’effigie du symbole de ce mouvement social. Il a rendu hommage au fidèle aumônier de Solidarnosc qui avait payé de sa vie d’avoir revendiqué haut et fort le respect de la dignité humaine.

« Ce n’était pas de leur gré que les Polonais se trouvaient dans la sphère d’influence de Staline. Varsovie était gouverné par une clique communiste, installée sur les baïonnettes de l’Armée rouge et les crosses du NKVD »

LES COMMUNISTES EN GUERRE CONTRE L’ÉGLISE

Quand, en septembre 1947, Popiełuszko venait au monde à Okopy, un petit village de l’est de la Pologne, l’Europe était déjà divisée par le « Rideau de fer ». Ce n’était pas de leur gré que les Polonais se trouvaient dans la sphère d’influence de Staline. Varsovie était gouverné par une clique communiste, installée sur les baïonnettes de l’Armée rouge et les crosses du NKVD. Les nouvelles autorités ont truqué les législatives, et s’en sont pris en toute brutalité à l’opposition démocratique et la clandestinité indépendantiste. La dernière institution importante indépendante des communistes restait l’Église catholique, même si, au fil du temps, cette dernière aussi a dû affronter une animosité sans pitié de la part des autorités. Avec comme point culminant l’emprisonnement, dans les années 1953-1956, du charismatique primat Stefan Wyszyński.

La répression n’a pas brisé l’Église. Au contraire, dans les années et décennies suivantes, elle semblait clairement gagner la lutte pour le règne des âmes contre les communistes. Cela fut confirmé en juin 1979 par la première visite de Jean-Paul II en Pologne. Sur la Place de la Victoire à Varsovie, le pape a appelé l’Esprit Saint à « renouveler le visage de cette terre ».

Ces paroles se sont matérialisées plusieurs mois plus tard : en août 1980, une vague de grèves a déferlé sur le pays tout entier. Les ouvriers exigeaient une amélioration de leurs conditions de vie, mais aussi – ce qui constituait une énorme violation du tabou de la dictature communiste – des syndicats libres, non inféodés au pouvoir en place.

« La nouvelle du meurtre a fait une très forte impression également à l’étranger. “Toute l’Amérique partage la tristesse de la nation polonaise en apprenant la mort tragique du père Jerzy Popiełuszko”, a ainsi écrit dans une déclaration spéciale le président Ronald Reagan »

L’AUMÔNIER DE SOLIDARNOSC

Le jeune prêtre Popiełuszko n’a pas refusé quand, à ce moment d’effervescence, il fut envoyé à l’aciérie « Huta Warszawa » en grève pour y célébrer une messe sur un autel de fortune. Il s’y est rendu avec une grande appréhension, mais les ouvriers l’ont accueilli par des applaudissements.

Les grèves ont rapidement conduit à la création de Solidarnosc (Solidarité), un syndicat fort de plusieurs millions d’adhérents, indépendant des autorités. Popiełuszko est devenu l’un de ses aumôniers. Il a également rendu visite à des étudiants en grève. « Toute la société est derrière vous. […] Je vous souhaite de tout mon cœur persévérance et victoire », a-t-il déclaré devant le public de l’École des officiers des sapeurs-pompiers de Varsovie. Leur protestation à l’automne 1981 fut réprimée par la force par les autorités communistes. À peine quelques jours plus tard, la nation tout entière a été traitée de la sorte.

Le 13 décembre 1981, l’équipe de Wojciech Jaruzelski a fait descendre des chars dans les rues des villes polonaises. Des milliers de militants de Solidarité furent envoyés dans des prisons et des centres d’internement. Popiełuszko les a soutenus, ainsi que leurs familles, autant qu’il le pouvait : il distribuait des dons venant de l’Occident, venait assister aux procès politiques pour aider les accusés innocents à garder le moral, célébrait tous les mois, en l’église Saint-Stanislas-Kostka, des messes pour la patrie, auxquelles assistaient des foules – des gens venant de Varsovie et d’autres villes, croyants et non-croyants.

Au cours de ses sermons, il parlait de la solidarité, celle écrite avec une lettre minuscule et celle délégalisée par les autorités communistes. Il soulignait que l’on pouvait rester « des individus spirituellement libres » même dans des conditions « d’esclavage extérieur », à condition de rejeter la peur et de témoigner de la vérité. Il appelait le mal par son nom, tout en enseignant à ne le combattre que par le bien.

DANS LA BOUCLE DU RÉGIME

La popularité croissante et l’autorité incontestée de Popiełuszko irritaient les communistes. Le prêtre était surveillé par la police politique et harcelé de diverses manières. « C’est par deux fois qu’ils ont peint ma voiture en blanc. C’est par deux fois qu’ils ont tenté une effraction dans mon appartement (...). C’est par deux fois que l’église a été cambriolée », a-t-il déclaré dans un entretien au quotidien La Libre Belgique. Popiełuszko fut également arrêté à deux reprises, en août et décembre 1983. Des agents de la police politique sont même allés jusqu’à déposer des balles et des explosifs dans son appartement. Le parquet a ensuite ouvert une enquête à son encontre, en lui faisant subir interrogatoire sur interrogatoire. Il faut ajouter à cela des pamphlets publiés dans la presse. L’auteur de l’un des plus perfides était le porte-parole du gouvernement, Jerzy Urban. Dans un article publié sous un pseudonyme, il accusait Popiełuszko d’avoir organisé des « séances de haine » dans son église.

Ce harcèlement s’étant révélé inefficace, les communistes n’ont pas reculé devant le meurtre. Dans la soirée du 19 octobre 1984, Popiełuszko fut enlevé par des agents de la police politique. Onze jours plus tard, son corps mutilé fut repêché dans l’eau. L’autopsie a confirmé qu’avant sa mort le prêtre avait subi des tortures.

La nouvelle du meurtre a fait une très forte impression également à l’étranger. « Toute l’Amérique partage la tristesse de la nation polonaise en apprenant la mort tragique du Père Jerzy Popiełuszko », a ainsi écrit dans une déclaration spéciale le président américain Ronald Reagan. Il a qualifié le prêtre assassiné de « courageux porte-parole de la cause de la liberté ».

« Chaque 19 octobre, en sa mémoire, nous célébrons la Journée nationale du souvenir du clergé insoumis, instituée il y a quelques années par le Parlement. C’est un hommage à tous les prêtres qui ont apporté leur contribution à la liberté polonaise et qui ont donné leur vie pour elle »

POUR LA FOI ET LA PATRIE

Les funérailles de Popiełuszko ont réuni des centaines de milliers de personnes, devenant une grande manifestation contre le mal, la violence et l’esclavage – des anti-valeurs communément associées au régime de l’époque. Au cours des années suivantes, la tombe du Père Jerzy fut visitée par des millions de personnes, parmi lesquelles des hommes politiques occidentaux influents : outre Bush père, le sénateur américain Edward Kennedy ou la Première ministre britannique, Margaret Thatcher. Jean-Paul II y a également prié le 14 juin 1987. « Ce prêtre martyr, écrira-t-il plus tard, restera à jamais dans la mémoire de notre Nation comme un défenseur intrépide de la vérité, de la justice, de la liberté et de la dignité humaine ».

Aujourd’hui, le Père Jerzy est un bienheureux de l’Église catholique, un héros de films et même de bandes dessinées. L’Institut de la Mémoire nationale, que j’ai l’honneur de diriger, lui a également consacré de nombreuses publications, conférences et activités pédagogiques.

En Pologne, chaque 19 octobre, en souvenir du Père Jerzy, nous célébrons également la Journée nationale du souvenir du clergé insoumis, instituée il y a quelques années par le Parlement. C’est un hommage à tous les prêtres qui ont apporté leur contribution à la liberté polonaise et qui ont également donné leur vie pour elle. Beaucoup furent assassinés pendant la Seconde Guerre mondiale par l’occupant allemand. D’autres furent victimes des Soviétiques ou des communistes indigènes. Et ceci jusqu’en 1989.

Tout en jouissant de la liberté, nous avons l’obligation de nous souvenir de ceux qui ont payé un prix si élevé pour s’être battus pour l’obtenir.

L’Opinion - le 18 octobre 2024


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