Chanter, c’est résister

Quel parcours que celui de Farida Tarana, première femme à participer à l’émission « Afghan Star » et maintenant exilée aux Pays-Bas. @LaCroix en dresse le portrait.

Elle évoque l'interdiction imposée par les talibans, qui empêchent les femmes de parler en public, un retour en arrière après des années de lutte pour les droits des femmes en Afghanistan.

https://youtu.be/ToBicZOix_w

arida, qui a grandi avec le désir de chanter malgré les tabous, utilise sa voix pour dénoncer la condition des femmes afghanes et exprimer son amour pour son pays. 

Elle raconte son parcours, de son inscription à « Afghan Star » à son engagement politique en tant que candidate au conseil provincial de Kaboul. Malgré les menaces, elle persiste à chanter, affirmant que « chanter, c’est résister i, et soutient celles qui continuent à exprimer leur voix sur les réseaux sociaux sous le mot-dièse #No_to_taliban.

https://youtu.be/1ViF66AB9PY


« Chanter, c’est résister »

Première femme à avoir participé à l’« Afghan Star », la chanteuse Farida Tarana, aujourd’hui exilée aux Pays-Bas, revient sur l’interdiction de parler en public pour les Afghanes. Leur voix fait de longue date l’objet d’un tabou, explique-t-elle, malgré un engouement certain pour la chanson dans le pays.

Enfant, Farida Tarana hésitait : chanteuse ou policière ? Deux parcours d’obstacles pour une femme dans son pays, l’Afghanistan, où elle est née en 1982. Mais la difficulté ne suffit pas à dissuader la fillette qui, auprès de ses parents, s’indignait « de ne pas pouvoir jouer avec les garçons et de ne pas pouvoir être libre » quand ses sœurs, « elles, ne protestaient pas ».

C’est finalement son goût pour la musique qui l’emporta et, aujourd’hui, la voix ample, chaude et un peu rocailleuse de Farida Tarana dénonce la condition des femmes afghanes, interpelle leurs maris, proclame son amour blessé pour son pays… Tout ça depuis la ville de Helmond, aux Pays-Bas, où, pour sa sécurité, la chanteuse a dû se réfugier au début des années 2010.

C’est là que, le 22 août, il y a tout juste un mois, la jeune femme a appris la nouvelle interdiction décrétée par les talibans à l’encontre des femmes, empêchées de parler dans l’espace public. « J’en ai le cœur brisé, j’en pleure toutes les nuits, confie- t-elle au téléphone. C’est un recul de plus. Les femmes s’étaient tellement battues pour leurs droits… »

Un musèlement qui confirme le sens qu’elle a donné à son métier. « Chanter, c’est résister », insiste-t-elle, se déclarant solidaire de toutes ses compatriotes, notamment celles qui, depuis le pays, postent sur les réseaux sociaux des vidéos se montrant en train de chanter, accompagnées du mot-dièse #No_to_taliban.

La voix des femmes afghanes fait de longue date l’objet d’un tabou, explique Farida Tarana, rappelant que c’était le cas même lorsque leur condition s’est améliorée, après la chute des talibans, en 2001. À l’époque, la chanteuse vient de rentrer dans son pays, dont elle avait fui la guerre, dans les années 1980, avec ses parents, qui avaient installé la famille en Iran. Elle veut étudier mais à Téhéran, les universités sont trop onéreuses pour les réfugiés afghans. Or, l’Afghanistan s’ouvre après des années d’obscurantisme islamiste. Farida Tarana part y tenter sa chance.

D’abord dans sa ville natale de Herat, où elle travaille pour les Nations unies, qui lui demanderont finalement de démissionner, détaille-t-elle. En cause ? Sa voix. En 2006, Farida Tarana s’inscrit en effet à l’« Afghan Star », un show télévisé lancé en 2005 pour dénicher les plus belles voix du pays – l’équivalent de la « Nouvelle Star ».

Chanter en public ? Ce serait salir la réputation de la famille, la prévient son père, qui la met alors en garde des risques de représailles qu’elle court, ainsi que les siens. « C’est comme aujourd’hui, les gens se proclament choqués car ils ont peur de dire qu’ils aiment ce genre de show, mais au fond, ils adorent », explique Farida Tarana.

Malgré les préventions paternelles, la jeune femme garde son cap et répète secrètement chez elle avec un professeur. Première femme à participer à l’« Afghan Star », elle finira 8e de la compétition. « Toute ma famille était choquée que je participe, 99 % de mes proches voulaient me tuer », se souvient-elle.

Les Nations unies, qui l’emploient à Herat, considèrent qu’elles ne peuvent plus assurer sa sécurité, raconte la chanteuse, qui choisit de s’installer à Kaboul. « C’est la ville la moins fermée du pays, y chanter était donc moins risqué pour moi », ajoute-t-elle.

Sûre de sa popularité, Farida Tarana décide de s’attaquer à un deuxième tabou : en 2008, elle se porte candidate au conseil provincial de Kaboul, où elle remporte 8 000 voix, soit le deuxième meilleur score. « Je voulais montrer que les femmes afghanes sont fortes », assume-t-elle. De quoi s’attirer de nouvelles menaces qui, cette fois-ci, l’obligeront à s’exiler. Mais ne l’empêcheront pas de continuer à chanter.« Pour moi, c’est de plus en plus nécessaire », dit-elle à l’heure de l’interdiction de parler en public pour les femmes. Pour rappeler aux talibans que « les femmes ne sont pas des animaux, mais des êtres humains ».

Marianne Meunier

La CROIX - le 23 septembre 2004

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