VI

La pression de l'armée russe devint toujours plus grande, et les Allemands ne purent maintenir le front. Lorsqu'ils se furent retirés de plusieurs kilomètres en arrière, ils ne trouvèrent néanmoins pas le calme escompté, mais l'adversaire ouvrit un feu nourri. L'attaque était complètement imprévue et il y eut de sérieuses pertes.

Frédéric fut séparé de sa compagnie lors de l'agression ennemie, et il craignit le pire. Néanmoins, après un peu d'errance, il se trouva nez à nez avec l'escadron de cavalerie. Il fut reconnaissant de ne pas être tombé entre les mains de l'ennemi et d'être encore en vie.

Ce qui le réjouissait particulièrement, c'était de se retrouver seul à seul avec son ami Antoine. Ensemble, ils pouvaient prier et méditer la parole de Dieu, ce qui le fortifiait à chaque fois énormément. Ils restèrent auprès de l'escadron de cavalerie jusqu'à ce qu'ils purent à nouveau rejoindre leur compagnie. Pendant tout ce temps ils étaient couchés dans une tranchée. Il n'était question ni de dormir, ni de se laver.

De retour à la compagnie, Frédéric fut envoyé un soir comme sentinelle. Heureusement pour lui tout était assez calme, et ses pensées voyagèrent par-delà les montagnes et les vallées, vers son pays. Il fredonnait en même temps des cantiques qu'il avait chantés avec ses parents et ses frères et sœurs lors  de leurs cultes de famille. Ensuite il sortit la lettre qu'il avait reçue récemment de la maison et la relut encore une fois. Subitement il se souvint de la communauté de son village, qui était réunie autour de la Parole de Dieu à cette même heure, et pensait certainement à lui dans l'intercession. Cela le réconforta énormément et il se sentit en sécurité au milieu des dangers. Le matin, au moment de la relève, il se mit aussitôt à écrire et il confia à ses parents : «…A nouveau nous sommes confrontés à des circonstances particulières et nous serons déplacés ailleurs, je ne sais où. Il est possible que nous remontions vers le nord. J'espère que ce sera un peu plus calme qu'ici. Le Père céleste le sait, il connaît aussi ce chemin. Je suis content de ce qu'il donne toujours dans ces temps difficiles, la grâce de persévérer dans la foi. Maintenant je n’ai plus le désir d’en écrire davantage. Je pourrais vous en raconter plus de vive voix. J'espère que, d'ici juin, je serai auprès de vous pour quelques jours. Peut-être le Seigneur permettra-t-il que j’obtienne une permission plus tôt ? …» 

* * * *

Ils furent déplacés vers le nord, même très loin vers le nord. La supposition de Frédéric s'avéra juste. Ils le remarquèrent surtout à la température. Il faisait encore bien plus froid que sur le front précédent. Mais ils purent supporter la froidure, car ils avaient à leur disposition un abri bétonné. Frédéric se réjouit surtout de ce que son désir de grand calme fut exaucé. A part quelques combats occasionnels, on était plutôt tranquille.

Mais lorsqu'ils entendirent parler de combats sur les deux flancs, ils s'inquiétèrent. Ils reconnurent que le calme était très trompeur et qu'ils risquaient d'être encerclés. Si cela se réalisait, qu'arriverait-il ? Sa situation ne serait-elle pas pire que dans le secteur précédent ? Frédéric remarqua que les supérieurs avaient les mêmes appréhensions et qu'ils préparaient une intervention spéciale.   Celle-ci ferait à nouveau de nombreuses victimes, ceci était clair. Dans une lettre à sa  famille il décrivit son émotion : «…L'homme a vendu le salut de son âme et, par conséquent, la vie n’a plus de valeur pour lui. Les soldats morts sont un triste signe de cet état de choses. Le carnage qui a lieu dans ce monde est le fruit du péché ! Si l’on agissait selon la volonté de Dieu, de telles choses n’arriveraient pas...»

Frédéric savait aussi qu'il ne pouvait pas se tenir en dehors des événements et que dans certaines situations, il était lui aussi, sans le vouloir, coupable. Contrairement à la plupart de ses camarades, il n'avait pas besoin d'avoir recours à des «auto-justifications» à bon marché et cousues de fil blanc. Il connaissait l'endroit où le vrai pardon est accordé et il y revenait aussi sans cesse. Ainsi il poursuivit dans la lettre mentionnée plus haut : «…Se réfugier à la croix de Golgotha, c'est prendre le chemin sûr, pour échapper à la corruption pécheresse. Au pied de cette croix, j'ai déjà vécu des heures merveilleuses. Le Sauveur crucifié a aussi porté  tout le fardeau de mon péché, m'a lavé et purifié. Il m'a donné le vêtement de la justice et me porte dans ses bras éternels. La victoire remportée à Golgotha ne pourra jamais être annulée, elle est valable pour l'éternité ! Le Seigneur est ressuscité. Jésus vit ! Alléluia ! »

Vous savez, ici, au front, l’on n'a pas l'occasion d'entendre la vérité divine. Nous ne pouvons qu’essayer de la communiquer à d'autres. Mais puisque que les soldats ne veulent pas accepter le Seigneur Jésus, il faut que « la parole soit assaisonnée de sel (Épître de Paul aux Colossiens 4:6).  » 

Sur le plan agricole, cette contrée n'était pas richement bénie. Ici, contrairement au secteur précédent, Frédéric et ses camarades ne pouvaient pas améliorer leur ordinaire par des produits de la terre. Ils avaient beau chercher, ils ne trouvaient rien ou presque rien de comestible et leurs estomacs criaient famine. Malgré cette situation difficile, Frédéric était, dans son for intérieur, joyeux et paisible. Ce qui le réconfortait constamment, c'était la protection dont il était l'objet. Bien qu'un calme relatif régnât dans ce secteur, les soldats ne pouvaient se permettre aucune imprudence, sinon cela se soldait par une pluie de balles. Frédéric l'expérimenta, lorsque, voulant faire une course, il sortit de la tranchée et courut en terrain découvert. Sans crier gare, des fusils entrèrent en action et les balles sifflèrent à ses oreilles. A chaque seconde, il pensait qu’il serait atteint, et qu’il perdrait la vie. Dans sa détresse il cria du fond de lui-même : «Seigneur, au secours ! Seigneur, aide-moi ! .» Il ne pouvait s'exprimer davantage mais cela suffit au Père céleste. Lui qui, dans sa Parole, promet d’exaucer toute prière sincère, permit à Frédéric de sortir indemne de la fusillade. Lorsqu'il y repensa dans l'après-midi, une profonde reconnaissance s'empara de lui. Il est vrai qu'il avait rassemblé toutes ses forces et qu'il avait couru aussi vite que possible, mais il savait que ce n'était pas sur cela qu'il pouvait baser son salut. Les projectiles étaient plus rapides que lui. Les balles ne l'avaient pas atteint. Par conséquent, d’où lui était venu le secours ? Et qui leur a fait manquer le but ? Pour Frédéric il n'y avait pas de doute.  C'était le Seigneur ! En silence il joignit les mains, loua Dieu, rendit grâces et promit de Lui rester fidèle et d'être un instrument docile entre Ses mains.

Entre-temps la période de la Pâques avait commencé. C'est pourquoi Frédéric lisait, selon son plan de lecture, l'histoire de la mort et de la résurrection du Seigneur Jésus. Tout à coup l'idée s'imposa à lui : «Il a fait tout cela pour moi aussi. Il s'est donné pour moi entièrement !» Il s'arrêta un moment et se demanda : «Que fais-tu pour Lui ?» Dans la lettre qu'il écrivit ce jour-là on pouvait lire : «…Jamais encore je n'ai aussi bien saisi et n'ai été autant touché par l'histoire de la Passion du Seigneur, que ces jours-ci. Nous sommes sauvés, c'est vrai. Mais ce qui est encore plus beau, c'est que le moment de rejoindre la Maison paternelle approche. C'est pourquoi levons nos têtes ! Nous devons veiller et attendre notre Seigneur et Sauveur. Oui, viens bientôt, viens bientôt, Seigneur Jésus...»

Dans sa méditation  après un nouveau combat, Frédéric réfléchit à la guerre en général, et parvint à la conclusion que toute la vie était un combat. Les combats militaires, quels que soient les efforts qu'ils avaient nécessités et quelle que soit l'importance vitale que certains leur attachaient, étaient finalement les plus inutiles qui soient. Ils ne produisaient rien qui eut une valeur quelconque pour l'Eternité. Mais il est un autre combat, intérieur celui-ci, c’est la lutte contre soi-même, contre la désobéissance au Seigneur.

Si l’on a vaincu le moi orgueilleux, en obéissant à la Parole de Dieu, et si l’on a suivi les directives du Seigneur Jésus, l’on est sur le chemin du salut éternel ; Et qui livrera ce combat ? Il y a moins de volontaires pour ceux-là que pour les combats militaires. Dommage ! Frédéric observa quelques camarades avec lesquels il avait déjà abordé le sujet de la foi. Ils ne voulaient rien savoir et ne semblaient pas vouloir revenir sur le thème. Il voyait en eux un cœur triste et vide, sans connaissance de la paix de Dieu. Il les plaignit de n'avoir pas, à cause de leur refus, de relation avec le Prince de paix, dans ce monde froid : ils devaient « geler intérieurement. » 

© jp.w 2024 - Contact