Au Pakistan, les chrétiens font de la résistance


Relégués à des emplois subalternes, vivant souvent dans des conditions d’extrême pauvreté, les 5 millions de chrétiens du Pakistan sont confrontés à une majorité musulmane toujours plus extrémiste, à un pouvoir complaisant avec les islamistes.


Etre chrétien au Pakistan, c’est un peu comme vivre dans une pièce sans porte ni fenêtre. On doit supporter cette situation car il n’y a pas d’autre choix. » Le prêtre accompagne ses mots d’un haussement d’épaules, résigné. Quelles que soient les régions, le seul fait d’être chrétien peut avoir des conséquences irréversibles. L’homme d’Église ­préfère taire son nom, il poursuit : « Pour éviter le pire, nous endurons en ­silence les nombreuses injustices sur ­lesquelles nous n’avons pas de prise. L’unité, l’amour et la solidarité ont été affectés par la loi sur le blasphème ­imposée par le dictateur militaire ­Zia-ul-Haq, qui interfère sur l’harmonie interconfessionnelle. »


En 1860, les dirigeants de l’Inde britannique avaient inscrit au code pénal un chapitre traitant des offenses relatives à la religion, comme un moyen de limiter les conflits entre les diverses communautés religieuses. Et ces lois n’ont fait que diviser un peu plus les populations lorsque le Pakistan en a hérité lors de la partition en 1947. D’autant plus ­qu’elles ont été renforcées en 1986 par le gouvernement militaire, dirigé alors par le général Zia-ul-Haq, d’une sentence de condamnation à mort ou à perpétuité pour punir toute remarque désobligeante à l’égard du prophète Mahomet. Si, à ce jour, aucune exécution judiciaire n’a été effectuée, la ­vindicte populaire force les citoyens ­acquittés à fuir ou à vivre dans la clandestinité. Dans ces conditions, la ­simple crainte d’être accusé tétanise la communauté chrétienne.

Zafar Bhatti


Pakistan: condamné à mort pour blasphème

Le 3 janvier 2022, le pasteur Zafar Bhatti comparaissait devant le tribunal de district de Rawalpindi, au Pakistan. Son avocat, qui était censé plaider pour une libération sous caution, a décidé de contester l'accusation de blasphème. La réponse du juge ne s'est pas fait attendre. Zafar, qui purgeait une peine de prison à vie est à présent condamné à mort. Son avocat veut faire appel.

Condamné sans preuve

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sans ressources 

Le cas d’Asia Bibi en 2009, accusée de blasphème envers l’islam et acquittée par la Cour suprême en 2018, a montré à quel point le sujet est sensible. Lorsqu’une querelle de village entre deux femmes est devenue une affaire d’État, la situation a révélé une ligne de démarcation invisible entre deux mondes. Les partisans, majoritaires, d’un Pakistan ouvert et éclairé semblent cependant perdre du terrain face à des extrémistes aussi peu nombreux que violents et déterminés. Le caractère islamique du Pakistan s’appuie sur la loi 295 C qui cimente la ­garantie musulmane du pays comme un fétiche intouchable avec son effet miroir dans la construction de l’Inde, très majoritairement hindoue. ­Depuis 2011, les gouvernements ­successifs, pris en otage par les extrémistes, ne se risquent pas à transiger sur cette question qui s’apparenterait à une trahison.



PAKISTAN

Les chrétiens sont considérés comme des citoyens de seconde classe et subissent de plein fouet les lois antiblasphème. 

La situation des chrétiens s’est détériorée quand le Pakistan est devenu un État officiellement musulman en 1947. Les églises historiques bénéficient d’une certaine liberté de fonctionnement mais elles sont étroitement surveillées et régulièrement la cible d’attentats. Les églises les plus actives et qui témoignent de leur foi à l’extérieur sont davantage persécutées. Les chrétiens, quelle que soit leur origine, sont considérés comme des citoyens de seconde zone.

SITUATION DES CHRÉTIENS

Depuis 1986, les chrétiens vivent dans la crainte de la loi sur le blasphème. Cette loi qui peut conduire à la peine de mort est largement utilisée contre les chrétiens pour régler des conflits personnels ou s’emparer de leurs biens. Le nombre d’accusations de blasphème contre les chrétiens est en constante augmentation. Les jeunes chrétiennes sont victimes de violences sexuelles, elles sont enlevées, violées et forcées de se convertir à l’islam.  

Les chrétiens souffrent de la dictature et de l’oppression islamique. Ils sont victimes d’une discrimination institutionalisée. Les pouvoirs publics les cantonnent aux emplois les plus dégradants et les moins rémunérés. La majorité des chrétiens sont pauvres et certains sont presque réduits à l’esclavage. Les chrétiens des classes moyennes sont également marginalisés et persécutés. Tous vivent sous la menace des lois sur le blasphème qui sont souvent utilisées contre eux. Ils peuvent être injustement accusés, arrêtés, emprisonnés, voire condamnés à mort, par simple jalousie ou pour régler des conflits personnels.

La population féminine de tout âge est particulièrement vulnérable. Elles sont victimes d’enlèvement, de viol, de viol en réunion. Il arrive qu’elles soient mariées de force à leur ravisseur et obligées de se convertir à l’islam.

Les chrétiens d’arrière-plan musulman sont persécutés par leur famille et par la société, harcelés, agressés physiquement, soumis à toutes sortes de pressions visant à les faire revenir à l’islam.

portes-ouvertes février 2023

Dans un bidonville de la capitale ­Islamabad, curieusement nommé « French Colony », en référence à la proximité de l’ambassade de France dans les années 1960, s’entassent 15 000 habitants. Des chrétiens, autrefois ouvriers agricoles pour des sikhs, se sont retrouvés sans ressources lorsque ces derniers ont choisi l’Inde lors de la partition en 1947. Les terres de leurs anciens ­employeurs ont été distribuées aux nouveaux arrivants musulmans. Les chrétiens chassés ont afflué vers la ­capitale depuis les zones rurales du Pendjab dans l’espoir de trouver un emploi. La métaphore de la pièce sans fenêtre, si elle évoque bien le sentiment d’être coincé dans une atmosphère irrespirable, est au sens propre le quotidien de la plupart de ces chrétiens. Ici, les conditions de vie sont ­insalubres : des ruelles pleines de trous crasseux, un ruisseau recouvert de ­déchets, un environnement pestilentiel où les habitants appartiennent à une classe de travailleurs pauvres, cantonnés aux travaux de nettoyage, de vidangeur et de récupérateur des déchets. Les annonces de recherches d’emploi dans ce secteur réservent ces gagne-pain de misère aux chrétiens. À l’époque, le CDA (Capital Development Authority) avait autorisé les constructions de logements pour cette main-d’œuvre corvéable et soumise. Afin aujourd’hui d’en contenir l’expansion, le CDA a érigé des murs ; alors la colonie prospère en hauteur.


population chrétienne, une minorité

Selon des sources officielles, la population chrétienne estimée est de 1,6 % sur 220 millions d’habitants, répartie ainsi : 1,3 million de catholiques, 2,4 millions de protestants, 1 million d’évangéliques. 

D’après le révérend Shahzad Murad, « le plus grand groupe de chrétiens appartient à l’Église du Pakistan, composée de ­quatre grandes dénominations protestantes : anglicane, méthodiste, presbytérienne et luthérienne ».


églises pleines le dimanche 

Par souci de discrétion, les cloches ne retentissent plus depuis longtemps, mais les nefs des églises se remplissent le dimanche. Qu’elles soient en zone militaire ou dans la vieille ville, des soldats quadrillent et veillent au bon déroulement de la messe. Des policiers des forces spéciales sont embusqués jusque sur les toits. Depuis le ­ciblage des lieux de culte par des ­groupes extrémistes, c’est sous haute sécurité que se déroulent les célébrations. 


L’harmonie a été rompue le 22 septembre 2013 quand deux kamikazes se sont fait exploser sur le parvis lors d’un déjeuner où 600 fidèles étaient réunis. Avec un bilan de 130 morts et 170 blessés, c’est l’attentat le plus meurtrier contre la communauté chrétienne. Le révérend anglican ­Shahzad Murad se rappelle ce jour funeste : « Il y avait tellement de corps déchiquetés que nous n’avions plus de place pour réunir tous les membres éparpillés. Les prêtres catholiques de Saint John Vianney nous ont aidés à présenter les corps aux familles et à préparer les funérailles. » Son ­téléphone bipe, les services de sécurité viennent de lui transmettre une alerte kamikaze accompagnée de la photo d’un suspect repéré en ville. Le ­révérend poursuit sur un ton blasé : « Avec 2 ou 20 policiers c’est pareil, c’est ­impossible d’arrêter un kamikaze, nous en sommes très conscients et ­effrayés. »

des envies de départ 

Pauvres parmi les pauvres, les chrétiens n’ont pas d’autre choix que de lutter. Depuis une décennie, une nouvelle génération poursuit des études, encouragée par des parents qui ­triment pour leur offrir un avenir ­radieux. Mais être diplômé n’apporte pas forcément de garantie. Augustin précise : « Bien que nos jeunes soient de plus en plus formés, les 5 % de postes de la fonction publique réservés aux ­minorités sont rarement donnés à des chrétiens. » Et face à la recrudescence d’une violence généralisée avec le ­retour d’Afghanistan des talibans ­pakistanais qui font pression sur les institutions pour installer la charia (loi islamique), nombreux sont ceux qui cherchent à quitter le pays.

Amer, le prêtre qui veut taire son nom poursuit : « L’Occident nous a abandonnés, nous ne recevons plus de visa alors que les Afghans en obtiennent. Nous sommes discriminés et menacés, des prêtres sont assassinés, des familles spoliées, des jeunes filles subissent des viols et des conversions forcées. Nous sommes à la merci des plus puissants, alors beaucoup partent clandestinement en Asie du Sud. » Propos tempéré par sa hiérarchie qui estime que l’État tente de protéger les chrétiens contre les fanatiques et que la meilleure ­façon d’atteindre le progrès et la réussite est de consacrer des moyens à l’éducation. Lola de Latour

Le Figaro Magazine - le vendredi 10 mars 2023 EXTRAITS


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