Geneviève de Gaulle, résistante et déportée

Le Figaro du 13 août 2024 retrace le parcours de Geneviève de Gaulle, nièce du général de Gaulle et résistante, qui a été déportée au camp de concentration de Ravensbrück.

Arrivée dans le camp en février 1944, elle fait face à la déshumanisation et au désespoir des détenues, tout en luttant avec sa foi catholique. Geneviève, qui avait grandi dans une famille très pratiquante, s'engage dans la Résistance après la débâcle de 1940, utilisant le pseudonyme de Germaine Lecomte pour imprimer et distribuer des tracts contre le régime de Vichy.

Arrêtée en juillet 1943, elle est déportée avec d'autres femmes dans des conditions atroces. Malgré la douleur et l'isolement, elle maintient sa foi et prie pour ses camarades, formant des liens spirituels avec d'autres résistantes. Elle exprime ses doutes et sa souffrance dans ses écrits, notamment dans son livre "Traversée de la nuit".

Geneviève endure de nombreux abus, mais reste un symbole de résistance spirituelle. Libérée en avril 1945, elle commence une nouvelle vie, devenant une militante active pour la lutte contre la pauvreté avec l'association ATD-Quart Monde. Sa foi mystique, renforcée par son expérience dans les camps, reste un moteur tout au long de sa vie, illustrant le pouvoir de la résilience face à l’adversité.

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Geneviève de Gaulle, une foi mystique à l’épreuve des camps de concentration nazis

La nièce du général de Gaulle, résistante de la première heure, a été déportée au camp de concentration de Ravensbrück, une épreuve qui a déterminé ses engagements associatifs pour le reste de sa vie.


En entrant dans le camp, c’était comme si Dieu était resté "à l’extérieur".Dans le froid glacial, le 2 février 1944, Geneviève de Gaulle, la nièce du général français réfugié à Londres, franchit l’imposante porte du camp de concentration de Ravensbrück, littéralement « le pont aux corbeaux », au nord de Berlin. Le vent est glacial. Les projecteurs balaient la nuit au-delà des grillages qui clôturent le camp de mort. Ici, les 150 000 femmes prisonnières ne sont plus que des ombres dans les coulisses noires du régime nazi.


Arrêtée à Paris quelques mois plus tôt, la résistante de 24 ans pouvait-elle imaginer à quel point le régime nazi était mortifère ? Entre ces barbelés, la détresse est ce qui meurt en premier, expression trop humaine qui a fui les visages que rencontre Geneviève en avançant vers son baraquement. « Ces êtres, encore vivants, n’avaient plus de regard. J’aurais dû éprouver de la compassion, ce qui m’atteignait, c’était le désespoir », écrit-elle. Le camp, c’est l’espérance tuée au plus profond du cœur.


Dieu a-t-il abandonné les hommes ? C’est le premier sentiment de cette catholique fervente confrontée au pire. Au fond d’elle-même cependant, elle possède une force inouïe, dont elle ne soupçonne pas encore la vraie nature. Comment pourrait-elle deviner qu’au cœur même du plus grand projet de destruction que l’homme ait jamais construit, elle découvrirait une petite lumière bien vive ? Geneviève de Gaulle est entrée en Résistance après la défaite historique de la France. Mais, sa vraie résistance, la résistance spirituelle, ne fait que débuter.


La nièce de Charles de Gaulle a grandi, comme son oncle, dans une famille catholique très pratiquante. Elle vit une partie de son enfance en Allemagne, où elle apprend la langue et lit Mein Kampf. En 1939, elle entame des études d’histoire. Mais, dès la débâcle, elle choisit d’entrer en Résistance, suivant immédiatement le combat du frère de son père. « Ce qui était inacceptable, c’était l’humiliation, la lâcheté, c’était le fait qu’on ne se battait pas, qu’on prenait le parti de se soumettre sans coup férir à la loi d’un vainqueur qui n’était d’ailleurs pas le vainqueur. On doit se battre jusqu’au bout contre un ennemi pareil », témoignera-t-elle.


La Résistance est un acte de patriotisme autant qu’un acte de foi. « Chez elle, la religion est déterminante : elle ne la met jamais en avant, mais elle sous-tend toute l’attitude et la rectitude morale qu’elle adopte contre un régime paganiste et antireligieux », explique Frédérique Neau-Dufour, historienne et auteur d’une biographie.


Sous le nom de Germaine Lecomte, l’étudiante imprime et distribue des tracts contre le régime de Vichy. Elle rejoint la Sorbonne, à Paris, où elle poursuit ses actions dans le réseau du Musée de l’homme avant de rejoindre l’organisation Défense de la France. Ce mouvement édite, dans les sous-sols de la Sorbonne, le plus important journal de la presse clandestine, pour lequel elle écrit notamment deux articles afin de faire connaître son oncle réfugié à Londres et le sens de son combat.


Le 20 juillet 1943, à Paris, Geneviève se dirige confiante, vers la librairie religieuse et royaliste Au vœu de Louis XIII, dans le 6e arrondissement de Paris. C’est ici que transitent les courriers, les documents sensibles, les faux papiers ou encore les ordres des responsables du réseau Défense de la France. Comme des dizaines de jeunes Parisiens qui poussent régulièrement la porte de la librairie, Geneviève est sans doute venue pour récupérer un document ou en délivrer un. Hélas, ce jour-là, une taupe a parlé. Un jeune étudiant en médecine a vendu ses camarades à la Sûreté générale du gouvernement de Vichy.


Quand elle pénètre dans la boutique, Geneviève découvre, surprise, deux policiers français en uniforme qui l’attrapent aussitôt. L’un d’eux, le tristement célèbre collaborateur Pierre Bonny, traque les résistants et les Juifs pour le compte de la Gestapo. Geneviève lui présente ses faux papiers, qui ne leurrent pas le cruel Bonny. Tête haute, voix ferme, elle énonce alors fièrement son identité. Elle est la nièce du général de Gaulle.


En face, derrière le comptoir, la libraire a quelques secondes pour griffonner un mot avant d’être embarquée également. « Je pars… Haut les cœurs… Je suis avec la Providence. » Cette phrase, Geneviève de Gaulle aurait pu l’écrire également. De Fresnes à Compiègne et jusqu’à Ravensbrück, la prière ne la quitte jamais.


Elle connaît la déportation, dont la déshumanisation a tant été racontée après la guerre. Entassées dans des wagons à bestiaux, elles sont 1 000 femmes à subir un long voyage de trois jours et deux nuits, sans boire, sans pouvoir s’allonger, et sont finalement accueillies par les cris des SS : « Saubande », qui veut dire « bande de truies », et l’aboiement de leurs chiens.


Rapidement, les nouvelles prisonnières sont entièrement rasées et envoyées dans leur baraquement, où elles ont jusqu’à une seule paillasse pour trois. Un triangle rouge pour « internée politique » est cousu sur le vêtement de Geneviève. Tout comme sur celui d’une autre prisonnière, dont elle fait la connaissance très vite : Germaine Tillion. Les deux femmes ne peuvent se douter que soixante-dix ans plus tard, elles entreront au Panthéon de la République. Dans le camp, les liens qui se construisent entre les déportées sont éternels, comme cette amitié avec une autre résistante, Jacqueline d’Alincourt ou encore d’Anise Postel-Vinay, arrêtée par la Gestapo dès le mois d’août 1942.


Celle-ci écrit justement : « J’aperçus alors, par-dessus les marées de têtes, juchée sur un tabouret, une petite silhouette très maigre, au visage déjà gris des prisonnières de Ravensbrück. » Dans le bloc des sanitaires, Geneviève de Gaulle décrit les exploits de cette Résistance en France qui bouillonne encore dans ses veines. « Dieu ! que cette camarade nous a fait du bien ! », raconte Anise.


Outre leur résistance passée en France, les prisonnières partagent surtout une foi très profonde. Dans l’enfer du camp, elles prient ensemble, comme une nourriture quotidienne qui leur permet de vivre encore un peu plus. « Dieu, dans le camp de concentration, est à la fois immédiat et infiniment lointain », explique Frédérique Neau-Dufour. « Jacqueline avait une très belle voix, elle chantait les cantiques dans le baraquement. »


Jamais Geneviève n’arrête de prier. Parfois elle doute. Toujours elle interpelle, comme ces quelques lignes, qu’elle écrit en 1946 : « Quelques-unes disaient leur chapelet dans un coin de dortoir, comme des enfants perdus qui crient maman dans le noir et rien ne répond. Ils sont seuls. (…) Prier ? Et où trouver des mots pour Dieu dans cette misère ? Que prient ceux qui ont le temps, dans le silence. J’ai les oreilles et la bouche pleines d’une clameur de désespoir. (…) Où est-ce, Seigneur ? Où passe-t-elle pour aller jusqu’à vous, cette voix issue de la plus immense misère ? Sommes-nous exclus du monde des saints, nous qui luttons dans la faim et la vermine, la crasse et la fatigue, nous les déchus, nous les pauvres gens ? »


Ce cri du cœur est sans doute la plus belle prière de Geneviève. Il ressemble étrangement au psaume XXI, annonciateur de l’agonie du Christ sur la croix. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Le salut est loin de moi, loin des mots que je rugis. Mon Dieu, j’appelle tout le jour, et tu ne réponds pas. » Ce cri du cœur, Geneviève l’écrit aussi, cinquante ans plus tard, intact, dans sa Traversée de la nuit. Elle accouche de ce texte d’une centaine de pages en quelques jours seulement, où le souvenir vivant de Ravensbrück plonge dans l’univers cru du camp.


On y retrouve la souffrance et la misère des jours qui passent. Affectée à l’atelier de couture du camp, où elle doit trier les uniformes « déchirés, ensanglantés, grouillant de vermines » venus du front russe, Geneviève est battue quotidiennement à la matraque par le SS Syllinka. Un jour, le même officier tue, à coups de battoir, une détenue coupable d’avoir essayé de laver son linge au robinet d’eau de l’atelier.


Geneviève raconte surtout son isolement au bunker. En octobre 1944, elle est placée dans un cachot, dans le sous-sol humide du bunker du camp, où sont emmenées généralement les prisonnières qui doivent être exécutées. Geneviève ne le saura qu’après sa libération, mais Himmler en personne a donné cet ordre. Il veut garder la nièce du général en vie pour constituer une éventuelle monnaie d’échange avec le chef de la France libre et alors que le Reich recule sur tous les fronts.


« C’est la seule fois où elle doute de Dieu, quand elle est séparée de ses camarades », explique Frédérique Neau-Dufour. Si elle possède une couverture, un siège d’aisances et un robinet, Geneviève ne sort que trois fois de cellule en quatre mois. Et rien ne sera plus dur que cette nuit de Noël que les SS choisissent cruellement pour infliger la bastonnade aux prisonnières du bunker. Les coups de schlagues fusent ainsi que les gémissements. Geneviève prie, mais « ce n’est même pas un silence qui me répond, c’est la misérable rumeur de ma détresse », écrit-elle dans sa Traversée de la nuit.


Tous ne reviendront pas, comme cette religieuse orthodoxe, Mère Marie Skobtsova, qui choisit, quelques jours avant l’arrivée de l’Armée rouge, de prendre la place d’une femme juive pour être conduite dans les chambres à gaz. Geneviève de Gaulle est quant à elle libérée le 20 avril 1945 via des tractations de la Croix-Rouge. À 24 ans et 44 kg, elle récupère pendant de longues semaines dans la grande villa de Neuilly, où loge le chef du gouvernement provisoire avec sa femme, Yvonne, et leur petite Anne. C’est là qu’elle raconte à son oncle, des heures durant, le long calvaire des camps.


Commence alors sa seconde vie. Cette vie d’héroïne de la Résistance, de témoin des camps, mais aussi d’épouse et de mère. Et puis, surtout, d’infatigable militante à ATD-Quart Monde, association de lutte contre la pauvreté, dans la juste continuité de ses longs mois de déportation, et dans la suite logique de sa foi chrétienne éprouvée à Ravensbrück. « On a découvert après sa mort, dans ses correspondances, une foi très mystique, témoignant d’une présence de Dieu dans sa vie de tous les jours », rapporte Frédérique Neau-Dufour. Véritable moteur de sa Résistance, cette force spirituelle et cette vie intérieure ont été sans conteste le fil conducteur de son existence.

Le Figaro - le 14 août 2024

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MÂCON : Geneviève de Gaulle et Berty Albrecht, deux chrétiennes résistantes, sujet d'une conférence de l'Église protestante

L'Église protestante de Mâcon a organisé une conférence intitulée "Des chrétiennes résistantes, quel sens donner aujourd'hui à leur engagement ?" pour commémorer le 81ème anniversaire de la libération de la France et le 80ème anniversaire de la libération des camps nazis. La conférence a réuni Anne Soupa, théologienne, François Boulet, historien, et Jean-Marie de Bourqueney, pasteur et modérateur.

François Boulet a retracé l'histoire de deux figures de la résistance : Geneviève Anthonioz de Gaulle, catholique et fondatrice d'ATD Quart Monde, et Berty Albrecht, protestante et Compagnon de la Libération.

Anne Soupa a ensuite discuté de la signification de la résistance aujourd'hui, soulignant les défis contemporains tels que la loi du plus fort, la discrimination, et la réduction de l'humain à un statut de consommateur. Elle a mis en avant quatre enseignements éthiques de la croix du Christ : le don, le refus du pouvoir oppresseur, l'unité de l'humanité, et la fraternité.

Soupa a également abordé la crise actuelle du christianisme, notamment la désaffection des institutions religieuses et la nécessité de réformer l'Église catholique. Elle a appelé à un christianisme non identitaire, fondé sur la foi, l'espérance et la charité, et a souligné l'importance de l'espérance comme moteur d'action et de témoignage. Un temps d'échange avec le public a clos la soirée.

macon-infos le 5 avril 2025

La signification du mot résister aujourd’hui pour Anne Soupa, théologienne

La théologienne a brossé l'état du monde actuel qui dévoile une apologie sans complexe de la loi du plus fort ayant la volonté de mettre la main sur des états souverains. Le retour du nettoyage ethnique, une discrimination assumée envers les étrangers, les femmes, les minorités sexuelles, une réduction de la personne humaine à un statut de consommateur. « Nous voyons un usage dévoyé de la parole, de la promesse, la confiance cède la place à la défiance », a-t-elle souligné.

Elle s'est appuyée pour étayer son propos sur une tribune parue dans Le Monde intitulée :  Trump et Poutine peuvent bien brandir la Bible, ils ne sont pas les serviteurs de l'Évangile.

« Nos démocraties occidentales ont puisé à une source judéo-chrétienne. Les chrétiens croient au mystère pascal, moi je l'ai appelé la croix parce que c'est toujours vers la croix qu'il faut se tourner pour comprendre. »

Elle a montré en 4 acquis uniquement d'un point de vue éthique ce que la croix du Christ nous apprend et apprend à tous les êtres humains :

1er : Jésus donne sa vie. Sans le don il n'y a pas de société possible, ce n'est pas une question de religion. S'il n' y a pas de don c'est la guerre entre nous.

2ème : Jésus a refusé un pouvoir oppresseur, qui culpabilise les petits et qui organise un système de partage des pouvoirs.

3ème : Sur la croix, Jésus rassemble l'humanité parce qu'il prend la place du dernier, il refuse la division de l'humanité.

4ème : Il est le frère par excellence.

« Tous ces acquis sont partageables par beaucoup de personnes. Ces valeurs sont l'horizon des chrétiens. La croix est le centre de la vie chrétienne. Le primat de la croix est radicalement contesté aujourd'hui. La croix est devenue le lieu du non sens. En 2025, il y a quelque chose de théologique qui nous perturbe. Elle a cité l'exemple de Trump et de Poutine. « Notre horizon est en train de vaciller.

Anne Soupa, théologienne

La question des chrétiens est comment résister devant un tel tableau ?

Les sociétés refusent le long terme alors que la vie chrétienne est fondée sur le temps long. D'autre part, elles ont une conception de l'être humain que je trouve en partie atrophiée. Il y a une réduction de la personne à l'image Il y a un encouragement à la compétition, à la culture du jetable, nos sociétés portent sur chacun de nous un regard élitiste cruel et sans pardon. Le vrai pardon est très rare. En plus, nos sociétés se détournent du christianisme parce qu 'elles le croient fait pour les faibles. Le christianisme dit tout est possible mais pas sans les faibles. Je crois pour ma part que le christianisme est fort, sa force est tout ce que je vous ai dit dans la contemplation de la croix.Mais le christianisme est aussi une invitation à créer, à faire fructifier ses talents. Pour le christianisme, la religion fait confiance à l'individu. Il a une capacité de transformation du monde très féconde pour demain.

Enfin, le christianisme est l'inventeur de la fraternité.

Pour conclure, comment agir, comment résister ?

Les chrétiens sont connus pour leurs capacités d'initiative dans le monde caritatif, associatif. Il faut choisir un christianisme non identitaire.

Le christianisme a la foi, l'espérance et la charité. On va chercher à mettre en application ces vertus théologales.

Il y a beaucoup à dire sur l'espérance. L'espérance est une vertu sur laquelle les chrétiens peuvent apporter beaucoup. Qu'est-ce que l'espérance ? C'est la conviction que rien n'est jamais fini et qu'il y a toujours un avenir, qu'il y a toujours une porte ouverte devant. C'est en fait le dynamisme profond de la vie.

Ce que nous apprend la crise actuelle, c'est l'espérance. Elle paraît quand tout semble perdu, quand on arrive à déverrouiller les portes qui sont trop fermées. L'espérance c'est vraiment ce qui germe quand tous les espoirs ont été piétinés.

L'espérance c'est une vertu qui ne se paye pas de mot mais qui se traduit en acte. Elle est faite pour agir.

Elle nous propose une petite chose c'est de commencer par être heureusement fier de notre christianisme, d'accepter de témoigner. S'il n'y a pas de témoin, il n'y a pas d'évangile, il n'y a pas de christianisme. Le témoin c'est la colonne de toute communauté chrétienne. Nous ne pouvons témoigner que d'une vérité. »

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