III


En vue de se former davantage dans sa profession, Frédéric alla dans d'autres exploitations. Mais en juin 1940 sa carrière fut interrompue. L'armée française l'appelait, et, contrairement à ce qui s'était passé avec le fils de l'officier, il ne pouvait cette fois refuser l'appel sous les drapeaux. Il dut, le cœur gros, prendre congé des siens, et se rendre à la caserne. 

Déjà au bout d'une semaine, alors qu'il ne s'était pas encore vraiment adapté à cette nouvelle vie, l'ordre de fuir vint. C’est pourquoi l'armée allemande, qui avait déjà traversé triomphalement la Hollande et la Belgique, se dirigeait vers la France. La caserne fut rapidement évacuée et les jeunes recrues se mirent donc, selon l'ordre donné, en route vers le sud. Les premiers jours ils firent la route à pied. Ceux qui n'avaient pas l'habitude de la marche souffraient énormément et étaient éreintés. Quelques-uns auraient renoncé à poursuivre, s'il n'y avait pas eu l'ordre libérateur de se retrouver à la prochaine gare, afin de continuer par le train. Le soulagement intervenu fut néanmoins atténué lorsque les jeunes gens se rendirent compte qu'on mettait à leur disposition, non pas un train omnibus, mais des wagons de marchandises. Est-ce qu'en tant que soldats ils n'étaient plus des hommes, puisque l'on comptait les transporter comme des animaux ? Finalement ils se consolèrent avec l'idée qu'il valait encore mieux mal rouler que marcher péniblement. Au moins le fait d'être dans un wagon de marchandises n'occasionnait pas d'ampoules aux pieds. 

Le train traversa toute la France jusqu'à la frontière espagnole. Là il fut arrêté et renvoyé. Maintenant la confusion était grande. Les rumeurs les plus contradictoires et les plus effroyables circulèrent, provoquant de la panique chez plusieurs. 

Combien Frédéric était heureux d'avoir une relation personnelle avec le Seigneur et de pouvoir, aussi dans cette situation, lui vider son cœur. Il avait pourtant peur comme les autres, mais il ne sombrait pas dans la crainte et pouvait aussi réconforter les autres. Il expérimentait à ce moment la réalité de la Parole de Dieu : «Vous aurez des tribulations dans le monde, mais prenez courage, j'ai vaincu le monde» (Jean 16, verset 33). 

Finalement le train s'arrêta dans le sud de la France et les jeunes soldats arrivèrent dans un «camp de jeunesse». Celui-ci se trouvait dans une forêt et se composait de simples huttes où les jeunes gens furent entassés par dix ou quinze. A partir de là ils dépendaient d'une organisation semblable au «Arbeitsdienst» allemand (travail sous contraintes). 

Bientôt, il y eut une sorte de reconversion de l'armée française, et Frédéric prit la décision de ne plus faire ce service, de quelque nature qu’il soit. Au lieu de cela il caressa le projet de fuir au Cameroun. Il était persuadé que là-bas l'armée ne mettrait pas la main sur lui. Il ne s’inquiétait pas pour les relations ou le logis. Après tout, son cousin faisait son service là-bas en tant qu'employé de la poste. Evidemment il fallait de l'argent pour exécuter ce projet de fuite. Mais ceci n'était pas non plus un problème. Il avait pu faire quelques économies durant les années passées ; elles lui aplaniraient maintenant le chemin pour sortir de cette situation embrouillée et dangereuse. 

Il entra immédiatement en relation avec la Caisse d'Epargne de Strasbourg, où il avait un compte. Mais de là-bas lui vint la nouvelle désagréable que cette banque avait été transférée, le front allemand se rapprochant dangereusement. Frédéric n'eut donc pas accès à ses économies et son beau projet s'effondra comme un château de cartes. 

Comme tous les jeunes gens qui l’entouraient, il fut soumis à des travaux de construction de route dans les montagnes et à la fabrication de charbon de bois. Durant cette période il n'eut aucune nouvelle des parents et il se sentit misérable. Par contre, la plupart des autres jeunes gens ne semblaient pas affectés par l'isolement de la vie de camp. Ils passaient leur temps libre à jouer aux cartes, en braillant comme des fous. Cette activité semblait leur suffire, ils ne revendiquaient rien d'autre.  Il était peiné d'avoir des gens autour de lui avec lesquels il ne pouvait pas échanger, du moins, rien de spirituel. Il se sentait bien seul parmi tous ces jeunes. Parfois il pensait qu'il se sentirait moins abandonné s'il était réellement tout seul. Tout ce qui dépassait la banalité était considéré par eux comme des élucubrations. Lui par contre aurait aimé s'entretenir des choses de la foi précisément dans cette situation, où tout ce qui était terrestre devenait tellement problématique. Il aurait bien aimé porter ses regards au-delà des limites du temporel et les fixer sur les choses durables pour vivre le quotidien avec davantage de confiance. Mais, à part lui, personne ne semblait s'y intéresser. Dans le meilleur des cas, on le gratifiait, quand il en parlait, d'un sourire compatissant. Pendant cette période, il ne lui resta plus qu'à s'occuper tout seul de la Parole de Dieu. Ce qu'il faisait d'ailleurs sans se laisser troubler. Il ne voulait surtout pas renoncer à cela. De temps en temps il mettait sur papier les pensées qui lui venaient au fil de sa méditation des passages bibliques. Un jour il lui sembla connaître ce qu'avait ressenti le père des croyants, Abraham, lorsqu'il fut considéré dans le pays de Canaan comme un Hébreux, un étranger. 

Abraham devait être au milieu des Cananéens dans le même état d'esprit que lui, Frédéric Waechter, parmi ces jeunes gens avec lesquels il n’avait rien de commun. 

A chaque occasion qui se présentait, il s'allongeait sur son lit et se plongeait dans ses pensées. Dans son fort intérieur, il était terriblement agité. Tout d'un coup il remarqua en lui quelque chose de bizarre. Il ne savait plus s'il était toujours éveillé ou s'il rêvait. Une pensée se superposait à l'autre, tout commença à devenir flou, il ne voyait plus de contours précis. Ensuite sa capacité de mémoire disparut. Il ne savait plus rien. Il n'était plus là. Lorsqu'il arriva à percevoir à nouveau son environnement, on lui apprit qu'il s'était évanoui. En même temps on lui posa toutes sortes de questions. Mais Frédéric ne pouvait pas décrire son état. Il n'y comprenait rien lui-même. Il espérait seulement qu'une telle chose ne lui arriverait plus. Mais cet espoir fut déçu. Au bout d'un certain temps le même incident se reproduisit. Ceci advint même une troisième fois. 

Maintenant on se dépêcha de l'expédier dans un hôpital militaire. Frédéric fut étonné de n'avoir pas à suivre un traitement. Au lieu de cela, on l'envoya devant une commission qui lui posa toutes sortes de questions étranges. Frédéric n’entendait rien à tout cela. Finalement on lui remit un certificat, selon lequel il était inapte au service militaire. 

Malgré cela il n'eut pas le droit de rentrer à la maison, comme il l'avait supposé. Il n'était plus obligé de camper dans les huttes de la forêt, mais fut envoyé dans une ferme, où on lui assigna une place dans le grenier à foin au-dessus de l'écurie. Ce n'est qu'au bout de deux semaines que sa situation s'améliora, lorsqu'un couple aimable, d'un certain âge, s'occupa de lui et mit une chambre à sa disposition. Frédéric en fut heureux et essaya de communiquer à ces deux personnes âgées, ce qui lui paraissait le plus précieux : la foi en Jésus-Christ. Le couple se montra ouvert à l'Evangile. Mais Frédéric ne put pas les conduire jusqu'à la décision de s’engager pour Jésus Christ, parce que le camp fut dissout. On mit les jeunes gens devant le choix : ou bien aller dans la milice ou retourner chez eux. Frédéric n'eut pas de mal à choisir, il retourna à la maison. Cela faisait six mois qu'il n'avait pas eu de nouvelles des parents. L'accueil fut chaleureux à la mesure du temps passé au loin, ce qui représentait pour Frédéric quelque chose de spécial. Dans la maison familiale il n'y avait néanmoins plus le même espace vital. La famille de Frédéric avait seulement l'appartement mansardé à sa disposition. Le rez-de-chaussée de la maison avait été transformé en abri bétonné. Cette mesure ne put pourtant pas empêcher l'invasion allemande. 

Suite à cette dernière, il n'a pas été accordé longtemps aux Waechter de vivre ensemble en paix. Frédéric fut bientôt invité à se présenter à l'office du travail. Là on lui fit savoir qu'il devait se présenter à la police allemande et y faire son service. 

Cette mobilisation lui déplut fortement. Il était content d'avoir échappé, du côté français, au service militaire, déjà déplaisant ; ce n'était certes pas pour revêtir un autre uniforme, de plus, celui des nazis ! Frédéric hésita un instant. Puis il lui fut donné la force de dire : «Je suis jardinier, et j'aime ce métier. J'aimerais bien l'exercer à nouveau. « 

A son grand étonnement, on tint compte de ce désir. On lui assigna une place chez un chef jardinier. Celui-ci possédait une grande exploitation avec des serres et cultivait toutes sortes de fleurs et de légumes. En dehors de Frédéric, six autres hommes étaient employés dans l'entreprise de jardinage. Les uns venaient d'Alsace et les autres étaient des prisonniers de guerre polonais et russes. Huit jeunes filles déportées d'Ukraine travaillaient aussi dans l'exploitation. Frédéric devait partager sa chambre avec un autre Alsacien. Sans crainte, il lisait dans sa Bible, comme par le passé, même en présence du collègue. Cela suffit pour connaître la position spirituelle de l'autre. 

Un soir, comme ils conversaient, le collègue déclara spontanément qu'il était membre du parti nazi et que la foi ne signifiait rien pour lui. Il était pleinement d'accord avec ce qui se disait dans les réunions du Parti. Frédéric s'informa prudemment : «Et que dit-on là-bas ? » 

«Jésus est un Juif. Et les Allemands n'ont rien à voir avec les juifs», répondit le collègue avec détermination. 

Frédéric en eut un coup au cœur. Il ne pouvait pas laisser passer cela sans rien dire. Le Seigneur disait : «Celui qui me confesse devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père qui est dans les cieux. Mais celui qui me reniera devant les hommes, je le renierai devant mon Père qui est dans les cieux».

Il ne pouvait pas courir le risque d'être renié un jour par le Seigneur. Il savait que sans son intercession il ne pouvait parvenir à Dieu. D'un côté, Frédéric n’ignorait pas également ce qui pouvait arriver, s'il confessait Jésus devant un membre du Parti. Il avait déjà entendu parler des redoutables méthodes nazies. Néanmoins, en tant que chrétien, il devait obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Il dit  donc : «Je sais que Jésus est issu de la tribu de Juda. Mais pour moi il n'est pas en première ligne un Juif, mais il est le Fils de Dieu». 

Il attendit, curieux de connaître la réponse de l'autre. Mais elle ne vint pas. Le collègue le regarda seulement d'une drôle de façon, et secoua la tête. Est-ce que l'affaire était déjà réglée ? 

Tout d'abord cela en avait l'air. Rien n'arriva. Frédéric supposa que le collègue n'avait rien entrepris contre lui. L'espoir commença à germer doucement en lui : Peut-être son témoignage avait-il été reçu favorablement par l'autre ?

Tous les membres du  Parti n'étaient certainement pas des dénonciateurs. Mais la frêle petite plante  appelée  espoir fut bientôt élaguée. Une semaine environ plus tard le propriétaire dit brutalement à Frédéric : «Cherchez-vous une autre chambre aussi vite que possible !» Frédéric était étonné. Qu'avait-il fait qui soit une infraction au contrat de location, pour qu'on lui donne congé, pour ainsi dire, sans préavis ? Il s'informa prudemment du motif. 

«Ne m’en demandez pas plus ! Cherchez-vous une autre chambre. Dans une semaine, vous êtes dans la rue, compris ?» Ce fut tout ce qu'il put en tirer. Frédéric était maintenant persuadé que la résiliation du bail était la conséquence de son témoignage au collègue de travail. Il rechercha immédiatement un autre logement et réussit à trouver. Avant la fin de la semaine signifiée, il put emménager dans sa nouvelle chambre. Mais ici aussi on lui donna son congé au bout d'un court laps de temps, parce qu'il avait rendu témoignage de Jésus. Ceci lui arriva encore plusieurs fois, et Frédéric fut subitement tenté de se taire dorénavant, de ne plus essayer de communiquer sa foi. Après tout, il n'était pas obligé de s'attirer constamment des désagréments. Si les gens ne voulaient rien savoir du Seigneur Jésus, eh bien tant pis pour eux, qu’ils courent vers la perdition ! Mais chaque fois que de telles pensées cherchaient à s'insinuer, il ne se sentait pas à son aise. Il sut immédiatement qu'elles n'avaient pas leur fondement dans la Parole de Dieu. Le Seigneur avait prévenu ses disciples : «S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi.» 

Pour suivre Jésus, il fallait aussi être prêt à souffrir. Celui qui ne l’était pas, n'avait plus qu'à fermer sa bouche ou à atténuer le message, de manière à ne choquer personne. 

Mais alors qu'arrive-t-il à ce moment ? C'est clair : l'adversaire de Dieu a atteint son but. L'Evangile n'est plus proclamé parmi les hommes. C'est pourquoi Frédéric résistait à la tentation de se taire. Il ne voulait pas perdre la gloire de la demeure céleste du Père en cédant à la chair réfractaire à la souffrance. Lorsqu'on lui donna congé une fois de plus, il trouva dans le journal une annonce insérée par un employé des finances, qui voulait louer une chambre à une personne seule. Frédéric se mit en relation avec cet homme et convint d'une date à laquelle il visiterait ladite chambre. Avant de se  rendre chez le fonctionnaire il décida de se rafraîchir en allant aux bains municipaux. Comme il ne savait pas nager, il pensa descendre dans le bassin pour enfants. Par mégarde, il se trompa de bassin et alla dans le premier qui se trouvait sur son chemin. Plein d'entrain il y descendit, et oh ! Stupeur ! Il n'avait pas pied ! Il coula aussi vite qu'il y pénétra. Instinctivement, il se débattit, remonta à la surface mais seulement pour un instant et ensuite il s'enfonça à nouveau. Ceci se renouvela deux ou trois fois, puis il perdit connaissance et ne sut plus rien de ce qui se passa ensuite. Lorsqu'il revint à lui il était couché à côté du bassin sur le gazon, où le maître nageur s'occupait de lui. Ce dernier ne l'avait pas seulement fait revenir à lui, mais l'avait auparavant retiré de l'eau. Frédéric mit un certain temps à recouvrer complètement ses esprits. Ce n’est qu’alors qu’il se mit en route pour aller chez l'employé des finances. La chambre proposée lui plut et il la loua. 

Il s'attarda encore un moment chez le fonctionnaire, et il apprit ainsi que cet homme n'était pas membre du Parti, avait  même été écarté du service pour «des raisons politiques». Mais ce propriétaire n'était pas croyant, d’après ce qui ressortait de leur entretien. 

Frédéric, avait conclu qu’il était un moraliste avec un sens de la justice bien marqué. Ceci n'est pas une mauvaise base, pensa Frédéric ; il espéra avoir de bons rapports avec lui et obtenir une chambre pour une longue période. 

Contrairement à ses logis précédents, il resta effectivement là longtemps, mais moins longtemps qu'il ne l’aurait pensé. Après une année il déménagea également de là. Mais cette fois on ne lui donna pas congé, ce fut lui qui s'en alla. Le motif décisif vint d'un billet de la fille du fonctionnaire. On y lisait : «Je suis dans le bain. Mes parents ne sont pas à la maison !» 

Frédéric trouva le petit mot sur la table de sa chambre en revenant du travail. Cela lui prouva clairement que la jeune fille voulait le séduire pour lui il n'en était pas question. Il voulait avoir une conscience nette dans ce domaine, et il fut fidèle à la Parole de l'Ecriture : «Fuyez le péché !»

Lorsqu'il eut donné son congé, en remettant sa lettre, il alla dans sa chambre et ferma la porte à clef. Il était très déçu par la jeune fille, qui était institutrice. Elle qui devait éduquer des enfants, il n'aurait pas pensé qu'elle harcèlerait ainsi un homme. 

Après un moment d'amertume, il réussit à détourner ses regards des circonstances et à les diriger vers le Seigneur Jésus. Il s'agenouilla et vida son cœur plein de chagrin dans la prière. Peu après cette amertume disparut. Il était reconnaissant parce que le Seigneur lui avait donné la force de résister à la tentation et il avait pleine confiance qu'il ne le laisserait pas tomber par la suite non plus. Toutes choses devaient concourir au bien des siens, comme le dit l'Ecriture. 

En effet, Frédéric n'eut pas à attendre longtemps un logis. Cette fois il tomba sur un couple croyant qui le reçut. 

Maintenant il n'avait plus qu'à faire face aux difficultés qu'il rencontrait sur son lieu de travail. Ce qui était largement suffisant. Frédéric pensait qu'il n'aurait pas supporté longtemps encore le combat sur deux fronts. 

Lui, qui était spécialisé dans l'horticulture, avait à observer des prescriptions bien précises en ce qui concerne les soins à apporter aux plantes, et il le faisait. Et pourtant le chef trouvait toujours à le critiquer. Un jour il le « gratifia » même d'épithètes qu'on ne trouve dans aucun dictionnaire. 

Frédéric ne laissa pas les choses ainsi et essaya d'expliquer au patron qu'il avait suivi ses instructions à la lettre, qu'il ne les avait ni négligées, ni outrepassées. Mais le jardinier n'admit aucun de ses arguments. Il se tortilla comme un ver, faisant sa propre éloge et présentant Frédéric comme un imbécile.

«Oui, oui, pensa-t-il, tu ne vaux pas une goutte d'eau, une fois de plus.» Frédéric comprit qu'il était sans défense face aux mensonges du patron. Il n'avait là personne pour l'assister. Si l'affaire devenait sérieuse, c'est aux paroles du jardinier qu'on ajouterait foi et non aux siennes, celles d'un ouvrier, qui, par-dessus le marché, était pieux… Un profond abîme s'ouvrit devant Frédéric, et il craignait à chaque instant d'y tomber. Lorsqu'il lui semblait être en train de chuter, livré sans pitié à toutes sortes de puissances mauvaises, quelque chose d'étrange se produisit. Il n'avait plus aucune peur de ce qui pourrait lui arriver. Il se sentit merveilleusement soutenu. Et il lui fut donné de considérer sa situation tout à fait autrement. Il ne se vit plus comme l'ouvrier jardinier abandonné sans défense aux forces mauvaises. 

C'était absolument faux de penser qu'il était seul ! Dans cette situation aussi il avait de son côté celui qui avait créé le ciel et la terre. C'est lui qui conduirait toutes choses, au moment décisif, afin qu'elles concourent au bien de Frédéric Waechter. 

Ce soutien, le patron ne l'avait pas ! S'il ne faisait pas demi-tour dans sa vie, il était en route vers un avenir que le Seigneur Jésus décrit ainsi : «Là il y aura des pleurs et des grincements de dents.» Le patron était donc un homme perdu, bien qu'il n'en sache rien et se considérait comme puissant. En pensant à cela, on ne pouvait qu'avoir pitié de lui. 

A partir de ce moment, Frédéric put adopter une nouvelle attitude intérieure face à la manière de parler inconvenante et aux mensonges du patron. Il en souffrait encore dans les premiers moments, mais ils ne l'atteignaient plus au point de le pousser au bord du désespoir. 

* * * *


Au bout d'un certain temps Frédéric se fit inscrire pour le brevet de maîtrise. Les cours qu'il fallait suivre pour cela furent donnés dans une ville éloignée de vingt-cinq kilomètres. 

Le premier cours du soir était consacré à la présentation des candidats. Chaque participant faisait part brièvement de son curriculum vitæ. Ceci devait servir à une meilleure connaissance de l’élève pour l'examen de maîtrise. Lorsque ce fut le tour de Frédéric, celui-ci ne cacha pas qu'il était chrétien. 

Peu après la présentation, le pédagogue chargé de l'introduction du cycle de cours, prit la parole. Il se répandit en déclarations blasphématoires et en insultes contre les Juifs. Frédéric ne put s’empêcher de penser, que ceci était une espèce de «retour de manivelle» dû à son témoignage. Il trouva ceci fort déplacé, mais il ne s'en formalisa pas trop. Que le professeur le tienne donc pour un imbécile ! Ceci ne faisait que prouver la véracité de la Bible, dans laquelle il est dit que ce qui est une puissance de Dieu pour les croyants paraît insensé aux yeux du  monde. Mais la diffamation de la croix de Jésus-Christ remua Frédéric d'une manière invraisemblable. Là il n'avait pas le droit de se taire, s'il ne voulait pas être coupable envers le Seigneur. Néanmoins   il s'était passablement énervé entre temps  et il  savait :     «Si tu ouvres la bouche maintenant, tu ne sortiras pas une phrase raisonnable. Tu te rendras tout au plus ridicule et tu ne remporteras pas de victoire pour le Seigneur.» 

D'un autre côté il ne pouvait pas non plus accepter la moquerie. Et tout à coup l'idée lui vint : « Lève-toi et quitte la salle ! Tu n'as plus rien à faire ici. » Il rassembla rapidement ses affaires et s'en alla. Les réactions des autres ne l'intéressaient pas pour le moment. Devant la porte, il se souvenait du début du psaume 1 : «…il ne s'assied pas en compagnie des moqueurs…» 

Il se promit de ne plus suivre ces cours, bien qu'ils aient été payés et qu'on ne lui rendrait pas l'argent. Dès lors il renonça à devenir chef jardinier. 

Comme il n'y avait plus de train ce soir-là, Frédéric parcourut les vingt-cinq kilomètres à pied. Arrivé à la maison, il brûla dans le poêle à coke tous les livres de cours. Pendant la longue marche au clair de lune, il avait commencé à comprendre. Sa profession l'avait piégé. Par son désir de progresser, il voulait se prouver à lui-même et aux autres, de quoi il était capable. Mais n'était-ce pas là une attitude douteuse ? Bien sûr, il devait et voulait accomplir son travail, conscient de sa responsabilité, mais il ne devait pas en faire le but de sa vie. Avait-il moins de valeur, s'il ne gravissait pas les échelons du succès ? Qu'adviendrait-il quand il ne pourrait plus travailler physiquement ?  La vie n'aurait-elle plus de sens  alors ? Bien sûr que non ! Le véritable sens de la vie ne dépendait pas de choses passagères, comme le travail, mais de la relation qu'on avait avec le Seigneur Jésus. Cette prise de position était décisive, parce que le Seigneur Jésus est éternel et par conséquent ceux qui se confient en lui consciemment et fidèlement demeurent éternellement. C'est pourquoi ce n'est pas le travail qui doit le déterminer, devenir son dieu. 

«Frédéric a une araignée dans le plafond», dit-le chef le lendemain. «Il court comme une volaille effarouchée». «Ce n'est pas vrai», répondit Frédéric. «Je ne suis pas une volaille effarouchée, je suis comme la poule couveuse. C'est mieux, car une poule couveuse a une nouvelle vie en vue». 

Le chef ne supportait pas la contradiction, d'autant plus qu'elle lui venait du «pieux Frédéric». Il le « gratifia » de toutes sortes de noms d'animaux, du cochon au chameau. 

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