Le projet

U VANGELU -  TRADUZZIONE INTERCUNFISSIUNALE IN LINGUA CORSA

Comme pasteur de l'Eglise évangélique libre de Corse, j’ai été  le coordinateur de traduction du Nouveau Testament en Corse (1989-1993). J’ai présenté ce projet lors du colloque international des langues polynomique qui s’est tenu à Corte à la fin septembre 1990. 

Séminaire de traduction en langue corse à Saint-Pierre de Venaco en avril 1990. 

A l'heure de la communication internationale, il est intéressant de voir surgir de nombreuses nouvelles traductions dans les langues minoritaires de l'Europe. Un phénomène que l'on rencontre aussi en Suisse avec les traductions dans les différents parlers alémaniques. Chaque langue n'a-t-elle pas besoin de s'assimiler ce chef d'œuvre, la Bible, selon son génie propre? 

Langue polynomique et non académique, le corse appartient à la sphère des langues italoromanes; une dans son système, elle est puissamment originale et exigeante dans le respect d'une syntaxe, une manière de la dire, qui sont les mêmes dans toute l'île; riche de ses diversités, elle comporte des variantes répertoriables de morphologie et de syntaxe, qui n'empêchent nullement l'intercompréhension. 

Réduite longtemps au rang de langue orale au gré des occupations successives, la langue corse s'est toujours trouvée en position de langue dominée: dominée, elle l'a été dans un premier temps par l'italien, - la langue toscane écrite - et ce jusqu'au milieu du siècle dernier, et dans un second temps par le français, dominée au risque de disparaître de la scène linguistique ... 

Il faudra attendre l'année 1974 pour que le Corse figure enfin parmi les langues dites «régionales» enseignées dans les établissements scolaires grâce à un puissant mouvement d'opinion animé entre autres par Scola Corsa. Il était temps, car la politique linguistique de l'Etat, à quoi s'ajoute la terrible saignée humaine de la première guerre mondiale, ont failli aboutir à l'élimination pure et simple du parler corse. 

L'imposante citadelle de Calvi. La ville fut fondée au début de l'ère chrétienne. 

C'est petit à petit que la langue corse acquiert droit de cité dans notre société, avec par exemple l'alignement discret du gouvernement français sur les résolutions du Conseil de l'Europe (droit à la co-officialité pour les régions) et son engagement à développer l'enseignement de la langue pour tous les enfants qui le souhaitent, de la maternelle (dès la première section) à l'Université sans rupture. «Je suis d'accord pour que l'Etat désormais fasse une obligation d'en offrir la possibilité à tous», déclarait Lionel Jospin, le Ministre de l'Education Nationale. Il s'en suit que plus de 500 instituteurs seront formés dans un délai de quatre ans et auront l'obligation d'enseigner le corse à l'école. 

C'est dans ce contexte qu'a pris forme le projet de Traduction Interconfessionnelle du Nouveau Testament en langue corse qualifié d'emblée par M. Marie-Jean Vinciguerra, Inspecteur Général de l'Education Nationale d’« entreprise de fondation et de reconquête, s'il en est, de l'essentiel, en la langue maternelle, fille de Dieu, comme l'écrivit Dante »

Rares et limitées étaient les traductions de !'Ecriture Sainte déjà en circulation, et d'urgence s'imposait alors à la communauté insulaire la traduction de l'Ecriture Sainte en langue corse selon les règles de l'art, des communautés chrétiennes (protestantes dans toute leur diversité et 

catholique) à la communauté scientifique (Université de Corse, Centre de Recherches Corses) en passant par les associations culturelles (poètes, militants, artistes ... ). 

Après avoir consulté sur le terrain toutes les instances culturelles de l'île, Jan de Waard, Coordonnateur Européen de l'Alliance Biblique Universelle (ABU), est parvenu à la conviction au cours du premier semestre 1989 que le projet était non seulement viable mais qu'il devait être mis rapidement sur les rails: un Séminaire de traduction était convoqué à la fin du mois d'octobre 1989 regroupant une grande palette de gens compétents en langue corse. Dans leurs rangs ont été choisis les collaborateurs directs et indirects; les traducteurs retenus sont au nombre de six et se répartissent en deux équipes, placées sous la présidence du Père Carlo Buzzetti, de Rome, Conseiller en Traduction auprès de l'ABU et préposé au projet corse … 

A ceux qui rétoqueraient que la majorité des Corses ont déjà accès à l'Ecriture Sainte en langue française, rappelons que la Parole mérite d'être entendue et reçue par chaque peuple dans son idiome maternel; les témoignages sont nombreux que cette Parole de Dieu prend un cachet spécial et éveille un écho spécial, dès lors qu'elle est transmise dans la langue maternelle du sujet. 

Il est un principe avéré en missiologie: avoir égard à l'idiome propre des peuples à évangéliser; Martin Luther l'avait lui-même énoncé avant de le mettre en pratique:  « Man muss dem Volk aufs Maul schauen. » Ce principe retenu partout ailleurs dans le monde ne vaudrait-il pas pour la Corse? Aujourd'hui que la langue corse a acquis droit de cité, il est d'importance stratégique pour l'ensemble des chrétiens de chercher à communiquer la Parole de Vie dans cette langue et conjointement au français, vu sa résonnance particulière à l'oreille des insulaires. Développer la création de chants et d'œuvres constitue par conséquent un véritable défi que l'Eglise de Corse aura à relever dans les années à venir! Il s'agira pour la plupart des Corses moins d'une redécouverte que d'une découverte de l'Ecriture, puisque, soit dit en passant, le courant de la Réformation n'est pas passé jusqu'ici en Corse, où prévalent encore des traditions et des pratiques à la limite du paganisme. Qu'il ait donc retour à la Parole et retournement des consciences à Dieu par le Christ et reconnaissance intrinsèque de son autorité! La connaissance et la diffusion de !'Ecriture en langue corse (sur bande audio comme par livres imprimés) pourra certainement concourir! Tel est notre vœu et notre prière pour la Corse aujourd’hui.

jp.w

Dieu donna à l'homme deux yeux pour voir et deux oreilles pour entendre,

mais une langue pour parler 

LINGUA CORSA

L'éventualité de la disparition de la langue corse nous hante, et nous sommes tous prêts à la défendre. 

Mais nous apercevons dans ce désir une vérité cruelle, que nous ne savons pas exactement définir et qui, confusément, nous apparaît comme la situation d'une citadelle depuis longtemps assiégée. 

Oui, tous, du plus illustre des représentants de l'Etat jusqu'au moins responsable des îlotes, et sans savoir exactement ni pourquoi, ni comment, nous sommes prêts à la défendre. Hélas, le langage est ainsi fait que défendre peut aussi vouloir signifier interdire. 

Nous prenons alors conscience que, pour poursuivre la métaphore de la citadelle assiégée, si nous sommes dans ses murs, nous sommes aussi dehors, avec les assaillants. 

Car nous ne savons pas si ce combat est juste, or nous aspirons à la paix de la conscience. 

Car nous ne savons pas ce que la victoire nous apportera, or nous entendons sauvegarder nos intérêts. 

Car nous ne savons si ce n'est pas, dès maintenant, un combat perdu, or nous voulons vivre du côté des vainqueurs. 

Car nous savons que le monde de nos enfants n'est déjà plus celui de nos pères, et que défendre la langue de nos pères n'est pas un argument suffisant pour en faire celle de nos enfants. 

Alors, nous devons hardiment soumettre la langue corse au jugement du temps présent ... 

La Genèse nous apprend qu'après le déluge, les descendants des fils de Noé peuplaient la terre et «tous ne faisaient qu'un seul peuple et parlaient une seule langue». 

Quand ils entreprirent de bâtir une «tour dont le sommet pénètre les cieux», Yavhé «confondit leur langage pour qu'ils ne s'entendent plus les uns et les autres» et «les dipersa sur toute la face de la terre». 

Héritiers des constructeurs de Babel, nous sommes tous nostalgiques d'une communication universelle. 

Mais dans le même temps, nous sommes aussi les gardiens jaloux de la malédiction qui nous distingue.

(Extrait de «Lingua Matria», Conseil de la culture, de l'éducation et du cadre de vie) 

 Publié par BIBLE ACTUALITÉS, 4/90, le bulletin de la Société Biblique Suisse

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