II


Le lendemain, au Nouvel An, Frédéric eut de la visite. Son père arrivait. Il était déjà en possession de la fameuse lettre et il avait l'air abattu. Vu les circonstances, il n'était pas prêt à laisser son garçon en apprentissage à cet endroit. Il devait rentrer à la maison. On lui trouverait éventuellement une autre place comme apprenti.

Lorsqu'ils se retrouvèrent face à face, ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre et se mirent à pleurer. La présence du chef jardinier ne les gênait pas. Il pouvait penser ce qu'il voulait, eux s'aimaient et ceci était plus important que tout le reste ; ce n'était pas une honte non plus, tout un chacun pouvait le voir ! 

Le père fut très étonné que Frédéric ne veuille pas l'accompagner à la maison. Il regarda le garçon bouche bée et secoua la tête, ne comprenant pas. Là-dessus Frédéric raconta ce qui était arrivé aux environs de minuit, il le raconta dans tous les détails et le père hochait la tête, compréhensif.

«Ainsi je comprends pourquoi tu es si joyeux en espérance et que tu veuilles rester ici», dit le père, et il ajouta : «Mais nous devons rendre grâces pour cela et remercier celui qui a opéré ce changement».

Frédéric approuva, et ils allèrent au culte de l'église évangélique du village. Le pasteur avait pris comme texte de prédication Jean 1:12 : «A tous ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu».

Cette parole, ainsi que le commentaire du pasteur, Frédéric les « buvait » comme une éponge sèche absorbe l'eau. Il avait reçu le Seigneur Jésus dans sa vie, il croyait en Son nom, et il était donc enfant de Dieu. Existait-il quelque chose de plus beau, de plus élevé et de plus précieux ? Non, le statut d'enfant de Dieu ne pouvait pas être dépassé ! Au-dessus, il n'y a que Dieu le Père !

S'il avait été ainsi anobli par le Seigneur Jésus, que pouvaient encore lui faire des hommes ? Rien ! Le chef jardinier pouvait se montrer hargneux à son égard, mais la position que Dieu lui avait donnée en Christ ne pouvait lui être ravie ! Tout à coup, la vie apparut à Frédéric sous un éclairage différent.

Lorsque le lendemain, il retourna à son travail de jardinage, ce fut avec zèle et avec un cœur content. Ceci n'échappa pas au patron. Mais il n'y attacha aucune importance. Il tint cet élan pour une chose sans lendemain. Lorsqu'il remarqua, qu’elle persistait, il s'étonna, sans pour autant encourager Frédéric par un mot d'appréciation. Par contre, si quelque chose ne lui convenait pas, il le lui faisait aussitôt remarquer.

Un jour, alors qu’ils étaient occupés dans la serre, Frédéric devait transporter des plantes sur une palette. Comme il était de petite taille, il devait soulever cette dernière assez haut pour ne rien heurter, ni à gauche ni à droite, dans le couloir étroit. Sa vision étant ainsi limitée, il se blessa malencontreusement la main avec un cactus. Ceci fut une expérience douloureuse mais Frédéric retint tout gémissement. Il posa la palette et essaya de retirer les « aiguilles » de sa main. Il y en avait plus qu'il n'avait pensé tout d'abord.

«Qu'est-ce qui se passe ? Que fais-tu donc ?» Entendit-il. La voix du patron résonnait à travers la serre. Frédéric  ne s'occupa plus des piquants et courut avec la palette. Il ne répondit pas à la question du maître, sachant qu'il aurait entendu un sermon sur sa «bêtise». Il voulait s'épargner cela, d'autant plus que ce n'était pas de sa faute. 

Pendant la journée entière et encore par la suite, Frédéric sentit que quelques épines avaient pénétré dans sa chair. Et maintenant il n'arrivait plus à les saisir. Les douleurs à sa main droite devinrent plus fortes. Quelques aiguillons sortirent en provoquant une suppuration, sauf  ceux du majeur. Il en résulta une infection, et le doigt enfla énormément.

Maintenant Frédéric se vit obligé d'en informer le patron. Il devenait trop dangereux de continuer à travailler ainsi, étant donné qu'il était toujours en contact avec la terre et faisait ainsi pénétrer la saleté dans sa blessure. Le patron constata en grommelant et envoya Frédéric chez le médecin. Celui-ci l'expédia à l'hôpital, où le doigt fut incisé. Le chirurgien pratiqua l'opération sans anesthésie et Frédéric cria de douleur. Après cet incident déplaisant, il fit, durant les trois semaines de séjour à l'hôpital, une rencontre bénie. Un autre malade apprit quelle était sa position en matière de foi et il lui offrit la brochure : «Comment est-ce que je deviens missionnaire ?». Elle contenait la biographie du pionnier missionnaire John Patton, qui servit en Nouvelle-Guinée, en Papouasie. 

Cette brochure l'émut tellement qu'il décida de prier pour le missionnaire. Au bout de peu de temps, Frédéric constata que quelque chose d'autre s'agitait en lui. L'intercession pour le missionnaire ne suffisait pas à l'apaiser. Il se posait sérieusement la question, s'il n'avait pas lui-même une telle vocation. Il pria afin que cela lui fût montré clairement. Mais il n'arriva pas à une réponse évidente et nette.

Il quitta l'hôpital avec ce dilemme dans le cœur ; il passa encore quelques semaines de convalescence dans la maison paternelle. Il prit la brochure avec lui. Celle-ci tomba entre les mains de  son père, qui comprit. Lorsque Frédéric fit une allusion à sa recherche, simplement au cours d'une conversation, le père en profita pour demander : «penses-tu devenir missionnaire ?» Frédéric maintint sa position et espérait que son père s'en réjouirait. N'était-ce pas une bonne chose, quand un fils était prêt à consacrer sa vie entière au Seigneur Jésus ? Quand on pensait au comportement de certains fils de parents croyants ! 

En considérant cela, le père ne pouvait qu'être reconnaissant et approuver. Néanmoins lorsqu'il regarda son père en face, il n'en était plus tellement sûr. Il lui semblait discerner une certaine réticence dans son regard.

«Sors-toi cela de la tête, mon garçon», lui dit, en effet le père. «Ceci n'est pas pour toi, nous voulons être tout à fait réalistes. Tu as un défaut de prononciation. De plus tu n'as pas la formation nécessaire pour acquérir la connaissance des langues étrangères». Le garçon fut comme assommé. Il tressaillit et baissa la tête.

Le père posa la main sur son épaule pour le consoler et lui déclara : «Tu peux quand même être un missionnaire. Ceux qui veulent être disponibles pour le Seigneur ne sont pas tous dans un service à temps complet. Laisse-toi employer par lui à l'endroit où il t'a placé, dans le métier». Mais ceci ne réussit pas à consoler Frédéric. Il pensa : «Eh bien, quand même… tu ne vaux pas une goutte d'eau ! »

Peu après il se retira dans sa chambre et éprouva de la rancune contre tout et envers tout le monde. Peu après il se ressaisit. Il se rendit compte combien son amertume était répréhensible, et il demanda à Dieu d'y voir clair.

Un moment plus tard une pensée lui vint : «Prie pour ton frère ! « Ce dernier n'était âgé que de sept ans, mais Frédéric sut que ceci était la réponse à sa requête». Son amertume le quitta. Il obéit à cette inspiration, et pria pour son frère cadet, afin que ce dernier ait la vocation de missionnaire. Cette intercession fut exaucée plus tard.

Ceci fut une expérience édifiante. Frédéric avait appris par un exemple concret vécu, qu'une formation spéciale n'était pas nécessaire pour être exaucé par Dieu. La condition pour pouvoir agir avec puissance était l'obéissance à la Parole de Dieu. Maintenant Frédéric pouvait aussi accepter pleinement la déclaration du père, à savoir que celui qui veut servir le Seigneur n'est pas forcément dans le service à plein temps.

A l'occasion d'un séjour ultérieur à l'hôpital, Frédéric fit une nouvelle expérience qui le marqua fondamentalement. Cette fois il avait été envoyé en clinique par le médecin, pour enlever un éclat d'os de l'œsophage et il rencontra là un jeune dont le père était officier, en service à Madagascar. Ce dernier parlait souvent de la vie militaire et la décrivait comme une vie en rose. Au bout d'un certain temps il essaya de convaincre Frédéric de s'engager comme volontaire à l'armée. Tout d'abord Frédéric refusa catégoriquement. Mais l'autre insistait, et finalement il « rendit les armes ». Là-dessus le jeune homme se proposa de l'accompagner au bureau de recrutement, et ceci dès le lendemain. 

Pendant la nuit Frédéric eut un sommeil très agité. Le lendemain matin il était levé dès quatre heures. Comme d'habitude il prit tout d'abord sa Bible, afin de prendre conseil de la Parole de Dieu pour la journée. Comme mot d'ordre le passage de Matthieu 6:33 avait été proposé, et il lut : «Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu et toutes choses vous seront données pardessus». Frédéric se sentit interpellé par ce verset, de sorte qu'il dit au jeune homme : «Je ne t'accompagne pas au bureau de recrutement.» «Pourquoi ?» Voulut-il savoir, et il lui lança un regard irrité. «Parce que ce n'est pas là mon chemin», déclara Frédéric. « D'où est-ce que tu penses savoir cela ?», Rétorqua l'autre.

«De la Parole de Dieu. Celle-ci me dit que je dois d'abord chercher le royaume de Dieu et que toutes choses qui me sont nécessaires dans la vie me seront données par-dessus ».

Le fils de l'officier ne comprit pas et secoua la tête, pensant probablement être tombé sur quelqu’un d’un peu « dérangé ». Mais désormais il laissa Frédéric tranquille. Celui-ci termina son apprentissage et exerça ensuite son métier encore pendant trois années. Dans toute cette période il y eut joies et peines. En comparant les unes avec les autres, il sembla à Frédéric que les peines étaient prédominantes. Mais Frédéric était reconnaissant de ce qu'il était parvenu, avec l'aide du Seigneur, à ne pas obéir au grand Séducteur des hommes. Qu'aurait-il récolté s'il s'était laissé tirer vers le bas par chaque tentation ? Rien de positif. Il aurait été bloqué intérieurement et n'aurait pas pu accomplir son travail avec joie. Celui-ci serait devenu un fardeau pour lui, il aurait été fait dans la médiocrité, aurait donné lieu à de nouvelles critiques, et cela aurait aggravé la situation. Il aurait même été coupable parce qu'il se serait laissé guider par les circonstances et non par Dieu. 

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