Cédric Herrou, défenseur des migrants



Cédric Herrou est un agriculteur, éleveur de poulets et producteur d'olives et un militant français pour l'aide aux migrants.

Il devient connu en France et à l'étranger à la suite de son arrestation en 2016 pour avoir aidé plus de 150 migrants de passage à la frontière franco-italienne. Les péripéties judiciaires s'achèvent en mai 2020 lorsqu'il est relaxé. Voir article wikipedia.

Cédric HERROU

Extraits de TOPO - 7 novembre 2023


Cédric Herrou, relaxé : « On ne peut pas maltraiter les migrants »

le 01 avril 2021

Cet article est issu du n° 20210401 de la Marseillaise

La Marseillaise: Après trois procès, vous êtes définitivement relaxé. Comment réagissez-vous?

Cédric Herrou : Après une première instance en 2017, la cour d’appel à Aix, la Cour de cassation, on a fait en même temps la QPC, la loi a été changée, on a été rejugé à Lyon. Mais le ministère public continue son acharnement, pas contre moi, ni les militants, mais contre les étrangers. On est passé de la lutte contre l’immigration irrégulière à la lutte contre l’immigration tout court, notamment avec les dires de Darmanin et une chasse aux sorcières. Cet acharnement dépasse les règles, la loi, les valeurs françaises et sa devise. Depuis le départ, j’avais raison de faire ce que je fais. On le fait au nom de la liberté, l’égalité et la fraternité et on ne comprend pas pourquoi ça devrait être interdit.

Que pensez-vous des débats actuels autour de la migration?

C.H. : Le gouvernement s’acharne, pour eux, les migrants sont des gens « à part », pour lesquels la fraternité ne pourrait pas s’exercer, l’humanité et l’humanisme non plus. C’est ce qui est troublant. On a gagné, on le savait, c’était évident pour nous. Le combat n’est pas fini. C’est un beau message aux Français, de montrer que la France n’est pas une terre morte, elle a des valeurs. Il y a un besoin de vivre notre devise. En ce moment, le débat est nauséabond. On a besoin de hauteur. On a besoin de messages positifs et humanistes. Cette victoire arrive au bon moment, j’espère que cela va faire réfléchir les gens sur les conditions des précaires. Je ne suis pas militant pro-migrants, je lutte contre la précarité avant tout. Pour moi, les personnes en migration incarnent la précarité, c’est le miroir de notre société. Pour lutter contre cela, il a fallu lutter contre le ministère public. C’est un peu David contre Goliath et ça fait du bien de voir David gagner.

Le combat que vous menez dans la vallée de la Roya, d’autres le mènent ailleurs dans le pays...

C.H. : C’est de l’ordre de la dignité. L’État maltraite des gens : à Calais des tentes sont déchirées. Ce n’est pas question d’être pour ou contre la migration mais de respecter les gens. On ne peut pas maltraiter des migrants, les Français doivent réagir à ça. Quand la politique maltraite des gens, c’est une alerte grave, c’est une obligation de lutter. En ce moment, c’est ce qui se passe. Et pas que des migrants, les Français, les infirmières... les prolos quoi. Il y a besoin de réaction de la part des citoyens, je l’espère en tout cas.

La lutte continue?

C.H. : Même si j’avais perdu le procès j’aurais continué quand même. C’était une consultation, on attend après eux pour savoir si on peut le faire ou pas. Savoir si c’est juste ou injuste, ça, on le savait. Savoir si c’est légal ou illégal, on leur a demandé. Si demain ils changent la loi et que ça devient illégal, on continuera quand même, en se cachant. Si on doit entrer dans la clandestinité pour pouvoir aider... Le message aujourd’hui c’est « oui, vous pouvez être fraternels sans entrer dans la clandestinité» c’est tout. De toute manière, on devait le faire. Parfois c’est une obligation de bafouer la loi.

Entretien réalisé par Laureen Piddiu (5 mai 2021)


Une forme de désobéissance civile

La vertu de la désobéissance selon la philosophe Sandra Laugier 

La « désobéissance civile», c’est un terme issu des livres de l'écrivain et militant américain Henry David Thoreau qui, en 1846, protestant contre l'esclavage dans les Etats du Sud, refusa de payer ses impôts. Dès lors que le gouvernement émane de mon consentement, je ne peux pas obéir à une loi inique, disait-il en substance. La désobéissance civile consiste donc à ne pas respecter une loi ou un règlement, afin d'en prouver le caractère injuste. Il s'agit d'un acte public et délibéré d'un individu ou d'un groupe, qui choisit de placer le sentiment de la justice au-dessus des lois. Le but n'est pas de se soustraire à celles-ci mais de les faire changer. C'est une manifestation de l'esprit démocratique, et il n'y a pas de démocratie sans la possibilité pour chacun d'agir par cette voie.

On se souvient de Rosa Parks occupant un siège interdit aux Noirs dans un bus, des porteurs de valise du FLN, des 343 femmes affirmant avoir avorté, dans « l'Obs » en 1971 …

Aujourd’hui, on peut parler d'une recrudescence, sous de nouvelles formes. Je pense aux faucheurs d'OGM, aux manifestants pour le climat qui décrochaient les portraits de Macron, ou à Cédric Herrou qui s'est mis en infraction pour aider les migrants, ce qui lui a valu plusieurs condamnations. Car lorsqu'on désobéit, on accepte d'être sanctionné. Rosa Parks a été arrêtée, Martin Luther King a fait de la prison - preuve qu'en désobéissant on cherche à provoquer une discussion publique. Les désobéissants se battent pour d'autres personnes, pour élargir les droits des citoyens.

La désobéissance porte en germe un pouvoir citoyen, et c'est ce qui heurte les conformismes. 

SANDRA LAUGIER est spécialiste de philosophie morale et politique, et a introduit en France la notion de « care ». Elle a publié « Pourquoi désobéir en démocratie? » avec Albert Ogien (La Découverte, 2010).

L'Obs - jeudi 19 mai 2022

COMPLÉMENT

UN ARTICLE DE LA MARSEILLAISE - 28 décembre 2022

Cédric Herrou, créateur d’une « utopie capable de résister »

Pas du Diable, Enfer ou Baisse de Valmasque, Cédric Herrou invite le lecteur à entrer sur les terres qu’il cultive, au pied des rudes sommets frontière entre l’Italie et la France. Mais c’est sur un autre terrain qu’il l’amène à s’interroger, celui d’une solidarité devenue résistance.

Il est venu s’y installer il y a 20 ans pour « être libre et heureux », explique-t-il, « or c’est ici, dans cette vallée isolée, que je me suis heurté à la brutalité de l’État ». Dès 2016, la Vallée plonge dans le chaos, le gouvernement ayant décidé de chasser les migrants qui fuient la misère et les persécutions en Afrique depuis les côtes libyennes et d’assimiler ceux qui leur viennent en aide à d’obscurs passeurs. Pendant que «la police se mobilise dans la montagne», que des « médecins légitiment leur refus de soigner» ou que « l’aide sociale à l’enfance conteste la prise en charge de mineurs isolés », d’autres «poussent leurs meubles » pour accueillir, nourrir, soigner des migrants qui bravent la neige et la montagne après avoir survécu aux tortionnaires et aux dangers de la mer sur des Zodiacs de fortune. Cédric Herrou passe aussi en revue la violence institutionnelle. La série de procès contre le ministère public. S’il est cité plusieurs fois à la barre, ce n’est en réalité pas seulement son combat qui s’écrit devant les tribunaux, mais ces procès sont ceux de la solidarité en marche, ils « défendaient tout un mouvement, des dizaines de milliers de personnes, dans la Roya, ailleurs en France et en Europe». Un plaidoyer pour donner vie à l’humanité.

Myriam Guillaume

La Marseillaise - 28 décembre 2022

____________

MISE À JOUR le 26 septembre 2023

« On est déjà prêts à recevoir des migrants »

Cédric Herrou

Nous avons décidé de créer un centre d’accueil pour migrants par rapport à ce que l’on voit et ce que l’on entend venant des politiques en Europe concernant la question des migrants. Mais, en même temps, ce n’est pas vraiment une nouveauté. On n’a jamais arrêté de recevoir des gens à la maison. On a toujours essayé de recevoir du mieux possible toutes les personnes qui avaient besoin d’aide.

Il y a une urgence à ne pas laisser les gens dehors, c’est inhumain. Et quand j’entends le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, dire que l’essentiel des migrants n’auront pas d’asile en Europe, eh bien non, désolé, mais il y en aura un chez moi. Et de toute manière, vous ne pouvez pas empêcher les gens de venir. Ils vont venir, c’est une certitude, et nous serons là pour les accueillir.

Rien que ce matin, quatre enfants de Guinée Conakry sont partis après avoir passé le week-end ici. On est prêts à en recevoir d’autres. On va essayer de créer un couloir humanitaire pour qu’ils sachent qu’une fois qu’ils sont sur le territoire, il y a un endroit où ils pourront manger, dormir et être à l’abri. Il faut savoir que, dans la vallée de la Roya, il y a plein de gens qui dorment dans les jardins. Ici, quand vous ratez votre bus et que c’est le dernier, vous n’avez pas d’autre choix que de dormir dehors.

J’ai écrit au préfet des Alpes-Maritimes et aux autorités en général pour leur faire part de l’initiative. Après, c’est certain qu’ils vont essayer de nous chercher des noises, comme d’habitude, mais bon... on est prêts, que ce soit administrativement ou autre, à répondre et à défendre ce droit. Les politiques font leur beurre sur la question migratoire. La déclaration de Gérald Darmanin ne veut rien dire.

Comment va-t-il empêcher les gens de Lampedusa [8 500 personnes sont arrivées en trois jours sur l’île, au début du mois de septembre, Ndlr] ou autre de venir chercher refuge? C’est de la politique politicienne qui ne rime à rien. Quand je vois Giorgia Meloni, la Première ministre italienne, faire campagne sur le dos de l’Europe et qu’après, elle demande de l’aide à cette même Europe en disant qu’ils ont été oubliés de leur politique c’est navrant. C’est la même chose pour le Rassemblement national en France. Ils font campagne toute l’année en dénonçant les méfaits de l’Europe, mais ils ne veulent pas en sortir. Il faut se rappeler de donner de la dignité aux gens. Nous sommes le pays des droits de l’Homme, il ne faut pas l’oublier.

… On ne peut pas laisser les gens sans toit, dehors, sans éducation, sans aide... C’est exactement comme ça que les gens en arrivent à faire des choses extrêmes plus tard, comme le terrorisme. Ce ne sont pas des gens qui sont endoctrinés par une religion, ce sont des gens qui sont malades psychiquement. On ne peut pas s’accomplir si on n’a pas d’estime de soi et ça commence par avoir un lieu où dormir. ...

Le président de la République, Emmanuel Macron, avait dit qu’il n’y aurait plus de gens qui dormiraient à la rue durant son mandat et on voit le résultat. C’est l’hypocrisie des politiques qui ne pensent plus à l’humain. On ne peut pas laisser des gens végéter et ne pas avoir accès à ce qui fera d’eux des femmes et des hommes qui peuvent avoir une chance dans la vie avec l’éducation et en évoluant avec des conditions de vie décentes.

Propos recueillis par Charles-Alexandre Louaas

La Marseillaise - le 26 septembre 2023

© jp.w 2024 - Contact