V

Frédéric fut de plus en plus rapproché du front, ainsi que les autres soldats. La veille de Noël, par un froid rigoureux, ils arrivèrent à une ferme inoccupée et ils prirent là leurs quartiers. L'emménagement fut accompagné d'un incessant fracas venant du front. Aucun des hommes n'apprécia cette «musique». Ils avaient tous déjà entendu d'autres sons à Noël, et, plus que jamais, en avaient la nostalgie. Il semblait bien que cette nuit ne soit pas une «sainte nuit» mais juste l'inverse. Lorsque les hommes se furent installés, tant bien que mal, Frédéric se retira en silence dans un coin. Il sortit sa Bible et lut l'Evangile de Noël selon l'évangéliste Luc. Ainsi il retrouva la paix intérieure. Il fit l'expérience qu'on pouvait avoir cette paix même au sein de la discorde, si l’on se confiait au Seigneur. C’est alors qu'un torrent de joie le parcourut. Il pensa que les bergers des champs de Bethlehem avaient dû ressentir la même chose, lorsqu'on leur annonça la nouvelle de la naissance du Sauveur.

Frédéric parvint ainsi à dormir profondément et il se réveilla au matin de Noël content et joyeux. Mais il ne put rester longtemps dans cette ferme. Encore le même jour, le premier jour férié de Noël, il fut envoyé avec les autres dans une unité qui était au front et ainsi amené en plein dans la mêlée.

Avant de partir, Frédéric trouva le temps d'écrire à ses parents. Dans la lettre il déclara : «…Votre intercession a été exaucée par le Père céleste jusqu'à cette heure. Il y a quelques jours j'ai été gardé dans un accident de chemin de fer. Le wagon derrière nous s'est renversé. Celui dans lequel je me trouvais, a déraillé mais est resté debout. Il ne m'est rien arrivé, alors que dans l'autre wagon il y a eu des blessés… Nous sommes dans une situation qui nous est étrangère. Mais là aussi je cherche refuge auprès du Seigneur. 


"Laisse taire en toi tout ce qu’Il ne désire pas.

Laisse briser tout ce qui barre la route vers Lui !

Souviens-toi dans la sérénité combien Jésus      t'aime !

          Et puise dans son abondance.

             Prends toujours grâce sur grâce".

* * * *


Mi-janvier, il faisait terriblement froid au lieu de cantonnement de Frédéric. Il y avait peu de neige et celle-ci scintillait comme si elle était parsemée de diamants et crissait sous les semelles des bottes.

Parallèlement à son engagement au front, Frédéric avait suivi un cours sur l'artillerie lourde. Maintenant il attendait d'être envoyé en première ligne, et il était parfaitement conscient du danger que cela représentait. Dans une lettre à ses parents il écrivit : «…Demain dimanche, nous irons vers l'avant, pour accomplir un travail pénible. Mais je ne veux pas regarder aux vagues, mais au Seigneur qui conduit la barque de ma vie. Je me souhaite un dimanche béni, ainsi qu'à vous dans la communauté. Dieu veuille que nous nous revoyions…» Extérieurement Frédéric surmonta l'engagement au front sans dommage, il en fut reconnaissant. Mais il était blessé intérieurement. Il était tourmenté par le fait qu'en tant que chrétien il devait se servir « d'instruments » qui ne pouvaient qu'apporter la mort aux autres.

Voici ce qu'il écrivit à la maison : «…Je ne puis que répéter que le service militaire ne me procure aucun plaisir. Je souffre de devoir participer au carnage. Je ne vois malheureusement pas d'autre possibilité pour l'instant, que de prendre mon mal en patience et de faire ce qu'on m'ordonne. Je ne sais pas si vous pouvez considérer mon métier de soldat comme étant d'une importance vitale. Moi, pour ma part, je n'ai pas l'intention d'être de connivence avec ceux qui se tournent vers la politique actuelle. A mon avis ils ont été séduits et aveuglés...»

Après les combats Frédéric ne put bien dormir que parce qu'il était physiquement épuisé. Si l'une ou l'autre fois il était éveillé, ses pensées voyageaient vers sa patrie. Il se voyait dans le cadre familial, entouré de ses parents et de ses frères et sœurs ; et il pensait à tout ce qu'il aurait pu y faire et qui aurait eu bien plus de sens que ce qu'il faisait là comme soldat en pays étranger. Mais ce genre de pensées ne l'édifiait pas. Au contraire, elles devenaient pour lui un fardeau qui le tirait vers le bas. Il ne parvenait à s'en dégager qu'en se disant fermement : ce sont des châteaux en Espagne, du moins dans la situation actuelle !

En ce qui concernait son chemin futur, la peur d'être lui-même atteint par une balle : tout cela il le confia au Sauveur. Après cela il trouvait toujours à nouveau une certaine sérénité.

Dans la deuxième moitié du mois de février, Frédéric eut un jour de congé pour lui permettre de se reposer un peu après les durs combats. Cette journée libre, qui était un dimanche par-dessus le marché, Frédéric l'utilisa avant tout pour étudier la Parole de Dieu. Ces heures lui apportèrent toujours et encore un réconfort particulier et une force nouvelle. Il avait besoin de cette force, car, la nuit suivante, il devait retourner au combat. Et il n'y avait pas seulement à lutter contre l'ennemi, mais aussi contre le très grand froid.

Vers la fin du mois, Frédéric fut affecté à ce qu'on nommait «des services spéciaux» ; il vécut des heures nocturnes pénibles. Ces services amenaient des contacts désagréables avec l'ennemi et étaient, pour cette raison, très dangereux.

Il confia à ses parents : «…dans l'état actuel des choses, je ne peux pas m'étendre là-dessus. En tous cas, des événements particuliers se dérouleront avec notre section dans les jours à venir. Il ne peut y avoir de paix jusqu'à ce que l'amour de Jésus triomphe et que cette terre soit à ses pieds…»

C'était toujours son soutien, de se savoir en sécurité dans la main puissante du Seigneur Jésus. Cette protection, il l'a très nettement ressentie, lorsque début mars 1944, il fut découvert avec d'autres soldats, par une patrouille russe, qui ouvrit immédiatement le feu.

Frédéric et ses camarades reconnurent, dans la seconde même, qu'ils étaient pris au piège et qu'à vues humaines, ils ne pouvaient échapper. Antoine, un ami de Frédéric, cita le début du cantique : «Mon Dieu, plus près de toi... »

Alors ils ouvrirent eux aussi le feu pour riposter, et ils purent fuir l'attaque de l'ennemi. Il n'y eut même pas de blessés. Comment les choses se passèrent exactement, personne ne sut le dire après coup. Les camarades, qui ne voulaient rien savoir de la foi, résumèrent ce salut dans la phrase superficielle : «Nous avons encore une fois eu de la veine !»

Pour Frédéric, par contre, ce fut une merveilleuse protection. Il le dit aussi aux autres et fut appuyé en cela par son ami Antoine. Quelques jours plus tard, lors d'un nouveau combat, « Nous avons eu de la veine » ne réussit plus pour certains camarades. Frédéric qui avait reçu chez lui une brochure des frères Moraves, «Paroles et textes», s'était retiré, avant ce qu'on nommait  «l'opération», dans un coin pour méditer la parole du jour et pour parler avec son Seigneur dans la prière. Ce faisant, il fut découvert par ses camarades. Ils s'approchèrent, prirent un de ses livres chrétiens pour le feuilleter, et ne firent que se moquer de lui. Lorsque le dur combat eut cessé, Frédéric remarqua effrayé que c'était justement les soldats qui s'étaient moqués de la  foi, qui étaient soit grièvement blessés, soit morts. Il plaignit, avant tout, ceux qui étaient tombés. Selon le verdict de la Parole de Dieu, il n'y avait plus de conversion possible pour eux. Ils étaient maintenant au lieu qu'ils avaient choisi, c'est-à-dire loin de Dieu.

Le Seigneur Jésus a dit clairement : «Je suis le chemin, la vérité et la vie ; Personne ne vient au Père que par moi». Mais ils n'avaient pas voulu entendre quoi que ce soit à son sujet. Ils s'étaient encore moqués de Lui quelques heures auparavant. Donc, ils ne pouvaient pas être auprès de Dieu, parce qu'ils avaient refusé le chemin qui mène au Père. Ils étaient maintenant à l'endroit dont le Seigneur Jésus  a dit : «Il y aura des pleurs et des grincements de dents». C'est vraiment une éternité épouvantable.

Dans une lettre adressée à ses parents Frédéric affirma : «Je pourrais encore vous raconter d'autres histoires semblables. Elles ont pour moi, plus de valeur que tout ce que l’on peut trouver dans ce monde si chancelant. De tels faits sont sans doute aussi pour vous des preuves que  Dieu règne… Je ne veut pas me laisser ébranler dans ma foi, et l’inquiétude ne me fera pas sortir de la bonne voie. Vous ne le permettriez pas non plus. Non, les soucis quotidiens ne doivent pas nous abattre, mais resserrer la communion avec notre Seigneur et Sauveur…»

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