La foi est la dernière dissidence

À l’heure du vide spirituel et du triomphe de la technique, la foi est la dernière dissidence

Thibault DE MONTAIGU et Sébastien LAPAQUE, écrivains 


Dieu, figure d’avant-garde

Face à l’hédonisme marchand et au conformisme contemporain, Dieu fait figure d’avant-garde. Souvenons du vers d’Apollinaire dans Alcools : « Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme. »

Croire de nos jours

Croire, c’est marcher. Croire, c’est entendre le Père lorsqu’il dit à Abraham : « Éloigne-toi de ton pays, de ton lieu natal et de la maison paternelle, et va au pays que je t’indiquerai  » ; croire, c’est entendre Jésus-Christ, son Fils, dire à Marie-Madeleine, au matin de la Résurrection : « C’est bien moi, je suis là. » Croire, c’est savoir, aussi, que nous n’arrivons pas à marcher. Et croire, c’est se demander : qu’est-ce qui m’en empêche ? Croire, c’est vouloir se remettre en route, tendu de tout son être et courant vers le but. Cet élan dont parle sans cesse Paul dans ses épîtres est admirablement accordé aux sommets de la littérature universelle, poèmes ou romans construits sur une dynamique de la marche, de la course, de l’ascension.

Se mettre en route

… En route. En route vers quoi ? Vers l’être, la lumière, la joie ; en route vers le « oui » ; en route vers ce que l’on finit par nommer Dieu.

Le temps de la révolte

Là où la doxa contemporaine - libéralisme, hygiénisme, racialisme, identitarisme sexuel et j’en passe - réduit l’être humain à son seul corps, les écrivains crient la révolte de l’âme. Cette révolte est une renaissance. « Dieu t’a béni de naître à une époque où l’on a tout perdu », observait Simone Weil. Tout mort, tout peut renaître. Car ce qui est perdu, c’est ce qui a été possédé. On ne se souvient jamais que de ce que l’on a oublié. Il y a des pages merveilleuses, à ce propos, dans les Confessions d’Augustin, pages dont Pascal fait entendre l’écho : « Console-toi, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas trouvé . »

Promesse de renouveau

Ce renouveau dont vous parlez, je ne me l’explique pas autrement qu’à travers ce sentiment de la perte. Il me semble observer, aujourd’hui en France, une minorité active ayant pris conscience de la perte de la source sacrée, à la fois juive et grecque, de notre civilisation. Jérusalem et Athènes. La foi, c’est certes la pistis de Paul, mais c’est également l’Emouna des Prophètes et des Patriarches, la confiance en Dieu, la certitude de Sa Présence… C’est quelque chose de très difficile à comprendre, pour nous autres modernes et postmodernes.

Sa présence au milieu de nous

… Ce qui empêche le christianisme d’être une minorité parmi d’autres, c’est le matin de Pâques, c’est le « Je suis là » de Jésus à Madeleine. Il nous est désormais impossible d’oublier que le Christ a traversé vivant les ténèbres de la mort, qu’il a marché sur nos chemins, qu’il a rompu le pain avec les pèlerins d’Emmaüs. En Europe occidentale, le christianisme deviendra peut-être une minorité, comme vous dites, c’est même annoncé dans l’Évangile — « Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Luc, 18, 8) — , mais jamais une minorité « parmi d’autres ». Je dirais la même chose du judaïsme : c’est une minorité, mais certainement pas « parmi d’autres ». Il y a derrière nous des bonds qualitatifs dans la civilisation qui continuent de faire sentir leur souffle libérateur. 

Permanence de l’Église de Jésus-Christ

L’Église n’a pas besoin d’avoir les plus nombreux bataillons pour demeurer l’Église des Saints, la gardienne de la Joie et le témoin de la patience du Pauvre, … « Une Église petite mais fervente, consacrée à la louange, au service et à la prière pour le salut de l’humanité tout entière, sur toute la terre et jusqu’aux extrémités du monde, loin des centres de pouvoir et des compromis du siècle. »

L’heure est à  un christianisme de conversion

Nous sommes en train d’évoluer peu à peu d’un christianisme culturel à un christianisme de conversion.

La foi qui habite ces « chrétiens retrouvés » est peut-être plus solide et plus inspirante pour ceux qui y sont étrangers. Julien Green dans son Journal brocarde « le christianisme de façade » de nombreux fidèles, pour qui la religion n’est qu’une convenance sociale, et qui par leur conduite dégradent l’image de l’Église. Or, ceux-ci ont quasiment disparu. Demeurent les cœurs purs, les ardents, les naïfs, tous ceux qui cherchent et implorent. Ils sont « la bonne terre » de la parabole.

Primat de la grâce

Dieu a créé l’homme et ne l’a pas abandonné, il est une grâce qui est donnée à tous les hommes (Blaise Pascal dans Les Provinciales). Si la foi est en train de redevenir un objet littéraire, il me semble qu’elle le redevient avec un accent très fort du côté de la grâce. Les quelques écrivains qui s’intéressent au christianisme de nos jours ont une prise de conscience aiguë, avancée, de la volonté de l’homme d’être « libéré, délivré » par la grâce.

Le Christ Jésus, point de mire

Car ce qui les intéresse — je pense à Michel Houellebecq, à François Bégaudeau et même à Michel Onfray désormais — ce n’est pas tant le christianisme que le Christ. La « route » dont je parlais en commençant a le droit d’être belle, même si elle est le plus souvent jalonnée de désespoir. Mais ce qui importe, finalement, c’est la lumière au bout du chemin.

« La grâce comble, mais elle ne peut entrer que là où il y a du vide pour la recevoir » écrit Simone Weil.

La vie intérieure, trésor intime

Hélas le monde moderne a horreur du vide et ne cesse de nous en détourner à travers toutes sortes de gadgets et de sollicitations. Il est difficile de se vouer au silence et à la contemplation quand tout conspire à nous divertir, c’est-à-dire à nous détourner de nous-mêmes. Et pourtant, cette vie intérieure, c’est peut-être la seule chose que nous possédons vraiment. On peut nous ôter la gloire, la santé, la richesse, l’affection de nos êtres chers, il nous restera toujours ce trésor intime. Et ce trésor, chacun peut le trouver en soi. Chacun est appelé à être élu. N’importe où. 

La grâce s’écrit au présent

À chaque instant. La grâce s’écrit toujours au présent. C’est en ce sens qu’elle est démocratique comme le souligne Sébastien. Qu’on songe à la dernière phrase, si belle et prémonitoire, du curé de campagne de Bernanos alors qu’il s’apprête à mourir : « Tout est grâce. »

in Le Figaro - 3 avril 2021

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