Plaidoyer de Martin Luther King pour une société qui veille sur ses valeurs




Voici des extraits de Où allons-nous ? La Dernière Chance de la démocratie américaine, de Martin Luther King, éditions Payot, 1968. Un texte à relire avec intérêt.

L’un des éléments permanents de l’histoire est que trop de gens oublient de rester éveillés pendant les grandes périodes de changement. Toute société a ses défenseurs de statu quo et ses confréries d’indifférents dont le sommeil en période révolutionnaire est notoire. Mais aujourd’hui nous devons, si nous voulons survivre, être capables de veiller, de nous adapter aux idées nouvelles, de rester vigilants et d’affronter les changements. La demeure universelle dans laquelle nous vivons exige que de voisins qu’ils sont devenus, les peuples du monde entier se transforment en frères. Ensemble nous devons apprendre à vivre dans la fraternité, ou ensemble nous sombrerons dans la folie.

Nous devons travailler avec passion, sans relâche, à combler le gouffre qui s’est creusé entre le progrès technique et le progrès moral. L’un des grands problèmes de l’humanité est qu’elle vit dans une pauvreté spirituelle qui contraste avec notre abondance scientifique et technique. Plus nous nous sommes enrichis sur le plan matériel, plus nous nous sommes appauvris sur le plan moral et spirituel.

Royaume intérieur

L’homme possède à la fois un royaume intérieur et un royaume extérieur. Le premier a un but spirituel qui s’exprime dans l’art, la littérature, la morale et la religion. Le second est fait de ce mélange complexe d’expédients, de techniques, de mécanismes et d’instruments au moyen desquels nous vivons.

Nous avons laissé les moyens prendre le pas sur la fin que nous poursuivons. Il est une phrase de Thoreau qui résume bien la vie moderne : “Des moyens perfectionnés pour un but imparfait.” Telle est la conjecture de l’homme moderne, tel est le grave et angoissant problème qu’il affronte. L’augmentation de la puissance matérielle aggrave les risques si la force de l’âme humaine ne croît pas en proportion. Quand les impératifs extérieurs à l’homme dominent les impératifs intérieurs, l’avenir se charge de menaçants nuages.

Vulnérable

La civilisation occidentale est particulièrement vulnérable en ce moment car notre abondance matérielle ne nous a procuré ni la paix ni la sérénité de l’esprit. 

Si nous commettons la folie de laisser les valeurs extérieures étouffer les valeurs intérieures, nous signons notre propre condamnation.

Si nous voulons espérer mener une existence créatrice dans la demeure universelle dont nous avons hérité, il faut nous montrer capables de retrouver les objectifs moraux de notre vie dans notre conduite personnelle et dans la justice sociale. La stabilité de notre vaste “demeure universelle” exige une révision de toutes nos valeurs, parallèlement aux progrès scientifiques et libérateurs qui révolutionnent le globe. Notre société doit cesser de donner la priorité à la “matière” pour l’accorder à la”personne”. À partir du moment où l’on considère les machines, les calculs, les profits et le droit à la propriété comme plus importants que le peuple, on renonce à maîtriser la trilogie géante du racisme, du matérialisme et du militarisme. Une faillite morale et spirituelle peut détruire une civilisation aussi sûrement qu’une banqueroute financière. En définitive, notre fidélité doit être œcuménique plutôt que sectaire. Chaque pays doit se montrer fidèle d’abord envers l’humanité dans son ensemble, afin de préserver ce qu’il y a de meilleur dans chaque société particulière.

Communauté mondiale

Cet appel à la communauté mondiale, qui étend les intérêts au-delà de la communauté de tribu, de race, de classe et de nationalité, est en réalité un appel à aimer tous les hommes d’un amour universel et inconditionnel. C’est une notion souvent mal comprise et mal interprétée, mais qui est désormais devenue indispensable à la survie de l’homme. Quand je parle d’amour, j’entends cette force que toutes les grandes religions ont considérée comme le principe même de l’union entre les hommes. L’amour est la clé qui ouvre la porte menant à la vérité suprême. Ce passage de la première épître de Jean résume de façon très belle cette croyance en une vérité suprême que partagent les hindous, les musulmans, les chrétiens, les juifs et les bouddhistes : “Aimons-nous les uns les autres ; car l’amour est de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour… Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour est parfait en nous.”

Espérons que cet esprit soufflera sur nous. Nous ne pouvons plus nous permettre d’adorer le Dieu de la haine et de nous prosterner devant l’autel des représailles. L’histoire a souvent été submergée par ces terribles marées de haine. 

L’avenir a déjà commencé

Nous sommes aujourd’hui contraints d’admettre que l’avenir a déjà commencé. Le “maintenant” nous presse. Dans cette énigme déroutante que sont la vie et l’histoire, il se peut qu’on arrive trop tard. Ne remettons pas au lendemain ce que nous pouvons faire aujourd’hui, car la vie nous laisse souvent seuls et nus, quand nous avons laissé passer notre chance. 

Nous avons encore aujourd’hui le choix entre la coexistence non-violente ou la co-destruction violente. C’est peut-être la dernière chance qui s’offre à l’humanité de pouvoir choisir entre le chaos ou la communauté.

citation  du journal RÉFORME

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