Marina Ovsiannikova à l’écoute de la voix de sa conscience



Dans ce blog, nous nous focalisons souvent sur des personnalités connues pour leur esprit de résistance. Parmi les héros du jour qui ont su faire preuve de courage par leurs prises de position face à l’injustice et à l’iniquité, une figure sort du lot, à savoir Marina Ovsiannikova, journaliste pour la première chaîne russe.

A ses risques et périls, Marina Ovsiannikova a osé  brandir en direct une pancarte critiquant la guerre du président russe en UKRAINE Aujourd’hui exilée en France, elle raconte dans un livre les dessous de son acte de résistance et sa fuite, traquée par les séides du Kremlin. Le JDD du dimanche 30 avril 2023 en publie quelques extraits…


Au fil de son histoire

https://youtu.be/2Bf1U8Gj0rQ

Quelques jours après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Marina Ovsiannikova, une journaliste, a décidé de dénoncer la propagande du Kremlin en direct à la télévision russe. Un acte mûrement réfléchi qui prend racine dans les traumatismes de son enfance en Tchétchénie.

Menacée de perdre la garde de ses enfants et d’une lourde peine de prison, Marina Ovsiannikova décide de fuir clandestinement la Russie avec sa fille, grâce à l’appui de l’ONG Reporters sans frontières. Nom de code de l’exfiltration : “Opération Évelyne”.

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La fibre résistante de Marina Ovsiannikova, journaliste au service étranger de la première chaîne russe, Pervy Kanal, est née des années plus tôt, sans qu’elle ait senti le courage de l’exprimer. Mère russe, père ukrainien, une enfance dans Grozny bombardé, puis l’exil, déjà… Les premiers tirs de Vladimir Poutine en Ukraine la révoltent et font voler en éclats sa réserve. Une héroïne est née.


Le 14 mars 2022, Marina Ovsiannikova fait irruption sur la plus grande chaîne d’information russe.

L’événement déclencheur

« Je regagne précipitamment mon bureau où je récupère à la hâte ma veste blanche, dans la manche de laquelle j’ai camouflé une affiche. Je me glisse de l’autre côté de la paroi de verre afin de me placer derrière la présentatrice du JT. Des dizaines de projecteurs m’aveuglent.

– La meilleure façon de contourner les sanctions des nations occidentales…, poursuit Andreïeva [la présentatrice] d’une voix monotone.

– Non à la guerre ! Arrêtons la guerre !

Tout en hurlant d’une voix que je ne reconnais pas, je déroule mon affiche derrière la présentatrice. Cette dernière poursuit la lecture de son prompteur comme si de rien n’était.

– Lors d’une réunion, les membres du gouvernement ont évoqué la façon de conserver un accès à…

Je comprends aussitôt que le réalisateur a changé de caméra. La diode rouge de celle de gauche est allumée, de façon que mon poster improvisé n’apparaisse plus à l’écran. Je m’empresse de me déporter sur la gauche afin que les téléspectateurs puissent déchiffrer mon message. « Non à la guerre. Arrêtez la guerre. Ne croyez pas à la propagande. Ils vous mentent ici. Les Russes contre la guerre. »

Du coin de l’œil, je vois brièvement mon visage sur l’écran de contrôle, mais l’image disparaît aussitôt. Le réalisateur a réagi en lançant un sujet quelconque pour empêcher les téléspectateurs de voir ce qui se passe à l’antenne. Mon coup d’éclat n’a duré que six secondes. Je sors du studio, les jambes flageolantes. […]

Le primat de la conscience

L’enquêteur me fait entrer dans un petit bureau encombré de dossiers et ferme la porte. Il m’explique qu’il travaille pour le département de Lutte contre l’extrémisme du ministère de l’Intérieur. […]

– Je cherche juste à comprendre les raisons de votre acte. Qui vous en a donné l’ordre ?

– Ma conscience ! C’est un concept qui vous parle ? Je suis adulte et je prends toutes mes décisions seule. Je vous le répète, c’était un choix personnel.

La guerre a marqué pour moi un point de non-retour. Je ne pouvais plus me taire. Ces vingt dernières années, Poutine a éliminé tous les médias indépendants en Russie. […]

» Le Kremlin trompe la nation tout entière par le biais de médias placés sous son contrôle. Il applique la même technique que Goebbels en répétant inlassablement que le noir est blanc. Ce sont ces fausses informations qui lui permettent de modifier la conscience des masses. La propagande est déversée sur elles de jour comme de nuit en un flot continu, sur tous les canaux. Comment s’étonner que des millions de Russes se soient transformés en hordes de bourreaux sanguinaires ? […]

Seigneur ! Ils bombardent Kiev et Odessa ! …

Son message video diffusé le 14 mars 2022

« Ce qui se passe en ce moment en Ukraine est un véritable crime. Et la Russie est l'agresseur. Et la responsabilité de ce crime pèse sur la conscience d'une seule personne. Et cette personne est Vladimir Poutine. Mon père est ukrainien, ma mère est russe. Ils n'ont jamais été ennemis. Et le collier autour de mon cou est un symbole du fait que la Russie doit immédiatement arrêter la guerre fratricide afin que nos peuples frères puissent encore se réconcilier. Malheureusement, ces dernières années, j'ai travaillé sur la Première chaîne, en faisant la propagande du Kremlin, et j'en ai maintenant très honte. J'ai honte d'avoir laissé raconter des mensonges sur les écrans de télévision. J'ai honte d'avoir permis de zombifier les Russes. Nous sommes restés silencieux en 2014 quand tout cela a commencé. Nous ne sommes pas allés manifester lorsque le Kremlin a empoisonné Navalny. Nous nous sommes contentés d'observer en silence ce régime anti-humain. Et maintenant, le monde entier nous a tourné le dos. Et les dix prochaines générations à venir ne seront pas en mesure de laver la honte de cette guerre fratricide. Nous, les Russes, sommes réfléchis et intelligents. Il est en notre pouvoir d'arrêter cette folie. Allez manifester, n'ayez pas peur, ils ne peuvent pas nous emprisonner tous. »

Sacrifices multiples

L’histoire de sa famille est celle de tant d’autres de l’ère post-soviétique, déchirées par la folie meurtrière de dirigeants mégalomanes. Si ce passé lui a donné le courage de dire non, cela s’est fait au prix de multiples sacrifices. Marina Ovsiannikova a perdu dans la bataille son fils de 17 ans, Kirill, manipulé par son ex-mari, journaliste pour la chaîne de propagande Russia Today, et sa mère, fidèle au président russe.

À la suite de son acte de rébellion, la journaliste a quitté la Russie pour tenter d’enquêter sur les crimes de Poutine en Ukraine ; elle y est revenue, puis a de nouveau manifesté et a été assignée à résidence après avoir passé une nuit en détention. Jusqu’à ce terrible constat : son avenir, c’était la prison ou l’exil.

La quadragénaire réussit finalement à s’évader en octobre 2022 avec sa fille de 11 ans, Arisha, en rejoignant un pays balte au terme d’un incroyable périple supervisé par Reporters sans frontières. « Cela ressemble à un thriller mais c’est ma vie », confie-t-elle depuis une messagerie cryptée.


Séparation de ses enfants

À présent, il ne fait aucun doute à mes yeux que mon ex-mari, l’un des hauts cadres de ce monstre de propagande qu’est la chaîne RT, a décidé de se servir des enfants pour m’atteindre. Mon fils aura bientôt 18 ans, il n’aura plus besoin de l’autorisation de quiconque pour venir me rejoindre, mais ma fille n’a que 11 ans. Il me faut trouver le moyen de la récupérer, à ceci près que je ne peux l’emmener nulle part sans passeport. La situation est inextricable. Je vais devoir attendre la chute du régime de Poutine pour revoir ma fille. […]

Extraits du

Le JDD du 30 avril 2023

Wikipedia

L’exil amer de Marina Ovsiannikova, repentie de la télé pro-Poutine : « Ne restent que la peur et la folie guerrière »

Près d’un an après son coup d’éclat en direct à la télévision russe, l’ancienne propagandiste russe s’est réfugiée en France pour échapper à une lourde peine de prison. Le Monde

Ce que l'on sait de l'action de Marina Ovsiannikova, la femme qui a dénoncé la guerre en Ukraine en plein journal télévisé russe

Cette journaliste et productrice d'une quarantaine d'années, employée de la chaîne d'Etat Pervy Kanal, a surgi en direct sur le plateau du JT le plus regardé du pays, lundi soir, en brandissant une pancarte dénonçant l'invasion en territoire ukrainien. Elle risque jusqu'à 15 ans de prison. FRANCE INFOS

EXCLUSIF. Marina Ovsiannikova, la journaliste russe antiguerre : "Mon fils m’a traitée de traître"

Son irruption en direct à la télé russe, brandissant un panneau "No War", avait fait le tour du monde. Aujourd’hui en exil, elle est convaincue que "la guerre en Ukraine finira par une défaite écrasante pour Poutine ». L’EXPRESS

Marina Ovsiannikova, la propagandiste repentie Libération

Voir aussi l’émission 28’ d’Arte consacrée à Marina Ovsiannikova

Marina Ovsiannikova : la journaliste « à la pancarte » qui a défié Poutine

28 Minutes (04/04/2023)

L'interview de la journaliste russe à la pancarte sur BFMTV en intégralité


Guerre en Ukraine : La journaliste Marina Ovsyannikova, nouveau symbole du conflit en Ukraine ?


Marina Ovsiannikova, journaliste russe : "Je ne fais pas partie de la racaille" • FRANCE 24


La journaliste russe Marina Ovsiannikova brandit une pancarte anti-guerre en Ukraine au tribunal



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