IX


Ensuite, ceux qui avaient participé à des combats pénibles et s'étaient trouvés dans des situations périlleuses, eurent une après-midi libre. Elle devait consister en une «joyeuse rencontre de camarades» et avoir lieu à sept kilomètres derrière le front.

Frédéric était parmi ceux qui avaient le droit d'y participer. Il avait été choisi parce qu'il faisait partie des cinq survivants de la position «hérisson».

A peine eurent-ils atteint l'endroit où devait avoir lieu «l'après-midi joyeuse», que chacun fut invité à venir sur l'estrade et à raconter des blagues et des récits vécus. Frédéric savait, par expérience, qu’ils ne souhaitaient raconter que des histoires obscènes.

Frédéric secoua la tête. Pour lui il était clair qu'il ne pouvait prendre part à ce «divertissement». N'y avait-il, dans leur situation, vraiment rien de mieux à faire que de tuer le temps de cette façon ? Etait-il raisonnable de se divertir avec des choses qui déplaisent à  Dieu ?  N’aurait-il  pas  été  plus  juste d’utiliser ces heures à rendre grâces et à louer le Seigneur pour avoir été gardés dans les combats ?

Peu à peu s’installait en Frédéric la conviction qu’il devait se séparer des autres en cet instant précis. Mais où pouvait-il se retirer ? Frédéric regarda autour de lui et découvrit des broussailles à proximité. C’était juste ce qu'il fallait comme cachette ! C'est là qu'il voulut se retirer. Il le fit sur-le-champ, et personne ne le remarqua.

Lorsqu'il se fut installé au milieu des buissons, il pria, lut sa Bible et médita les versets qu’il venait de parcourir. Ensuite il célébra pour lui tout seul la Sainte Cène...

Finalement il entendit que les autres se préparaient à partir et il quitta sa cachette. Son cœur battant la chamade, il essaya de rejoindre le groupe. Il y parvint sans se faire remarquer et se réjouit de ce que tout s'était si bien passé. Mais quand ils arrivèrent au camp, l'officier le regarda longuement et d'une drôle de façon. Il semblait réfléchir intensément.

«Qu'a-t-il donc ?» Se demanda Frédéric. Sans trouver une explication satisfaisante, il se sentit mal à l'aise. Lorsque des supérieurs regardaient de cette manière, c'est qu'ils avaient à redire au sujet de quelque chose.

«Où étais-tu cet après -midi ?» S'informa l'officier. Il semblait remarquer seulement maintenant qu'il n'avait pas vu Frédéric à la «joyeuse fête».

Il dit la vérité, bien qu'il en connaissait les conséquences. Cela n’aurait pas été cohérent si, d'un côté, il aimait la communion avec son Seigneur, et que, d'un autre côté, il redoutait de l'avouer publiquement ?

«Cet après-midi le service était : rire ! Tu t'es soustrait au service sans permission !» Déclara l'officier durement, et il le condamna à une sanction.

Elle consistait à envoyer Frédéric le lendemain, avec deux soldats dans un abri, au front. Ils devaient y chercher une bêche, un pic et un maillet. L'ordre montrait clairement qu'il s'agissait d'un prétexte pour tracasser Frédéric. Ces objets n'avaient pas assez de valeur pour exposer des vies humaines à un danger mortel.

Mais un ordre était un ordre, et les trois partirent. A la tombée de la nuit, ils arrivèrent à l'abri et remarquèrent malheureusement trop tard, qu'il avait été occupé entre-temps par les Russes. Ils essayèrent immédiatement de fuir sans attirer l'attention. Mais ils ne réussirent pas. Ils furent découverts par les Russes qui se mirent à tirer sur eux d’une façon incessante. L’arme, un trente-six coups, était particulièrement redoutée des allemands dans le combat de corps à corps. Bientôt Frédéric sentit un coup au bras droit, et il sut aussitôt que son bras était cassé». Mais il n’eut pas le temps de réfléchir là-dessus très longtemps, car il fut soudain également atteint au ventre. C'était certainement des coups de feu isolés qui l'avaient blessé…

Comme il se trouvait juste près du fossé plein d'eau qu'ils venaient de traverser en sens inverse, il s'y jeta. Ce n'était pas une couche agréable. L'eau froide imprégna son uniforme, et il se mit à grelotter. Mais il ne put se relever parce que les soldats ennemis arrivaient déjà en courant. Au-dessus de lui, ainsi qu'à sa gauche et à sa droite, il ne vit que des bottes. Il sortit la tête hors de l'eau mais resta couché en silence, et tendit l'oreille. Ainsi il sut que ses camarades furent faits prisonniers. Quant à lui, les Russes ne le découvrirent pas. Au bout d'un certain temps, ils s'en allèrent. On entendait de moins en moins leurs voix, dont l'écho se perdit finalement dans le lointain.

Pendant ce temps Frédéric était assis dans l'eau, seul et sans secours. Il n'avait pas été fait prisonnier, c'était une bonne chose, mais est-ce que sa situation était plus enviable ? Il ne le lui semblait pas tout d'abord. Il joignit les mains et supplia : «Seigneur, mets donc fin à ma détresse ! Prends-moi avec toi, je te prie !» Oui, il était prêt à mourir, là, maintenant. Mais comme il y pensait, il entendit une voix impérieuse : «Lis ta Bible !»

Frédéric secoua la tête. Cela ne pouvait être réel. Il faisait tout son possible pour sortir de cet affreux fossé plein d'eau et voilà qu’on lui enjoignait de lire dans la Parole de Dieu ! Comment comprendre cela ? 

Il se ressaisit, réussit à sortir du fossé et s'en alla. Cela ne put se faire aussi vite qu'il l'aurait voulu. D'une part ses blessures le ralentissaient dans sa marche, d'autre part, il se trouvait dans un terrain marécageux. Il devait bien faire attention où il posait son pied. S'il faisait un pas irréfléchi, cela pouvait être fatal. Et cette manière de mourir ne devait certes pas être agréable. Frédéric se représentait cela comme quelque chose d'horrible. 

Chaque fois qu'il parvenait à éviter un endroit dangereux,  la parole du  psaume lui revenait à l'esprit : «Ta parole est une lampe à mes pieds et une lumière sur mon sentier...» (Psaume 119, verset 105). Il reconnut finalement le bien fondé de cette voix qui l'avait renvoyé à la lecture de la Bible.

Frédéric ne sut, par la suite, dire pendant combien de temps il s'était ainsi traîné. Il sentait seulement qu'il ne pouvait plus continuer à marcher, qu'il allait s'effondrer. Ses forces diminuèrent à vue d'œil. Néanmoins lorsqu'il fut à l’extrémité, il tomba sur un abri.

Mais était-il encore occupé par des allemands ? Est-ce que les Russes ne s'en étaient pas déjà emparés ? Est-ce que tous ses efforts avaient été vains et serait-il fait prisonnier ici ? Non, il ne pouvait pas concevoir cela. Mais il n'avait plus la force d'aller plus loin, il alla vers l'abri. Advienne que pourra !

A son grand étonnement, cette position était encore maintenue par les Allemands. Chose providentielle, un médecin était même présent dans l'abri, et il lui donna les premiers soins. En l'auscultant le médecin constata que Frédéric avait été atteint au ventre par une balle. Le coup de feu qui blessa Frédéric au bras avait touché l'os, et c'est ainsi que son bras fut cassé. Le Nouveau Testament qui se trouvait dans la poche gauche de la veste avait joué un rôle spécial. Grâce à lui une balle qui ciblait le cœur fut déviée.

«Si cela ne s'était pas passé ainsi» dit le docteur sur un ton significatif, «vous ne seriez plus en vie».

Frédéric joignit les mains avec gratitude. Pour lui ceci était une protection clémente spéciale de la part de son Seigneur. Si, pour les hommes il ne valait pas une goutte d'eau, il avait manifestement du prix aux yeux de son Seigneur. Il le couvrait de Sa main dans les pires situations. En même temps, Frédéric en déduisait : «Si le Seigneur n'a pas encore voulu que tu quittes cette terre, c'est qu'il a une mission en réserve pour toi». Il était curieux de savoir ce que cela serait.

Ensuite les infirmiers le portèrent dans une maison où il faisait bien chaud. Là il fit sécher son uniforme trempé, et il remarqua que sa Bible, à cause des vêtements mouillés, avait pris l'humidité. Il craignait qu'elle ne se détériore totalement. Frédéric voulait éviter cela à tout prix. Il lui était impossible de vivre sans Bible.

Un infirmier la prit et la posa près du feu pour la sécher, mais malheureusement un peu trop près, et elle prit feu. Frédéric le remarqua juste à temps. Il voyait déjà les flammes lécher les bords des pages. Ainsi la Bible fut sauvée de la destruction définitive. Comme il la tenait, noircie, dans les mains, elle fut pour lui un message vivant : « C’est vrai, beaucoup ont déjà voulu détruire la Parole de Dieu, mais personne encore n'y est parvenu et personne n'y parviendra jamais, parce que Dieu atteste dans l'Ecriture : «Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point». (Matthieu 24:35).

Peu avant que Frédéric ne fut transféré ailleurs, l'officier qui voulait toujours l'avoir à proximité apparut pour prendre congé de lui. Ensuite Frédéric fut envoyé avec un autre grand blessé au centre principal des soins.

Là il rencontra un homme qui était grièvement atteint. Mais ce n'est pas cela qui retint son attention. Il avait déjà eu souvent de tels tableaux devant ses yeux et sa sensibilité avait malheureusement été un peu émoussée. S'il redoubla d’attention pour ce blessé, c'était pour une raison toute spéciale. Dès que cet homme le vit, il  le supplia  :  Prie donc, s'il te plaît, prie donc ! Prie pour moi !»

Frédéric fut étonné. Comment cela se faisait-il que ce soldat, en l'apercevant, ne trouvait rien d'autre à demander ? Il n'avait encore jamais vécu pareille situation. C'était pour lui quelque chose de tout à fait nouveau. Il examina le blessé de plus près. Après l’avoir observé un bon moment, il eut comme l'impression de le connaître. Mais il n'en croyait pas ses yeux ! . Si ce qu'il voyait était bien réel, c'était une de ces coïncidences dirigées par le Seigneur !

«Prie, s'il te plaît, prie donc» entendit-il encore, et il sut qu'il ne s'était pas trompé. Le blessé était le soldat qui, au cours de la fameuse «après-midi joyeuse» s'était distingué par des blagues particulièrement obscènes et avait fait se tordre de rire tout le groupe. Frédéric hocha la tête et se dit : «Oui, cette âme profondément souillée, comme les âmes de tous les pécheurs, ne peut être purifiée que par le sang précieux du Seigneur Jésus-Christ». Frédéric céda volontiers à la demande du grand blessé. Il pria de manière à ce que ce soldat prit conscience de ses péchés. Après l'«amen» le blessé hocha faiblement la tête et de ses lèvres sortirent ces paroles : «Oui, Jésus, Jésus.» 

Il fut exaucé. Le pauvre fut opéré en premier. Malheureusement on ne pouvait plus rien faire pour lui. Il mourut. Certes, il n’était plus de ce monde mais Frédéric savait qu'il était entré dans la maison du Père. C'était là sans doute la mission que le Seigneur avait préparée pour lui, lorsqu'Il l'avait protégé. Peut-être y en avait-il d'autres prévues pour lui ? Avec l'aide du Seigneur il voulait garder les yeux ouverts.

Peu après Frédéric fut transféré dans un hôpital de Varsovie. C’est seulement ici qu'il apprit combien ses blessures étaient graves. Mais on lui dit que sa vie n’était pas en danger. Néanmoins, on ne les prit pas à la légère, on leur prêta beaucoup d’attention, et il bénéficia de soins intensifs. Mais la guérison n'avançait pas comme les médecins le souhaitaient, et cela était pour eux un sujet de préoccupation.

Finalement, à cause du front Est qui se rapprochait, Frédéric fut transféré l’ouest avec d'autres blessés. Il arriva à Kreuzburg, en Silésie du nord. Là son état s'améliora enfin comme prévu. Il n'était plus obligé de rester à l'hôpital en permanence. A cause de l’avancée de l'armée russe, nous nous déplaçâmes à nouveau. Cette fois Frédéric arriva, avec d'autres camarades, dans la partie alsacienne, à Haguenau.

Il ne lui fallait aller à l'hôpital que trois fois par semaine. Le reste du temps il eut le loisir de rendre visite à des connaissances et à de la parenté dans la ville natale de sa mère.

Là eurent lieu, chez un particulier, des études bibliques, chaque semaine. Frédéric se garda bien d’en manquer une. Elles représentaient pour lui la nourriture indispensable pour sa vie spirituelle. De même que l’on meurt physiquement si l’on ne se nourrit pas, ainsi en est-il pour notre vie chrétienne. Nous avons besoin de nous fortifier par la Parole de Dieu. 

Ensuite, la fête annuelle de l'assemblée eut lieu dans une ferme. C'est là qu'il fit plus ample connaissance avec une jeune fille qui fréquentait aussi régulièrement le cercle biblique. Pendant les conversations qu'il eut avec elle, Frédéric constata que son regard calme et amical le troublait quelque peu. Finalement il se rendit compte qu'il l'aimait bien, beaucoup même. Mais il ne lui en toucha mot et il essaya même de cacher ses sentiments.

Le lendemain Frédéric devait de nouveau passer une visite médicale à Haguenau. Lorsqu'il voulut prendre le chemin du retour, il rencontra à la gare la jeune fille de manière fortuite. Elle prenait le même train que lui. Frédéric s'en réjouit, mais ne le montra toujours pas. 

Tout à coup il y eut une alerte, et les trains partirent plus tôt que prévu. Pendant le voyage, Frédéric raconta à cette jeune fille comment il avait été gardé, par grâce, au front. Elle ne cacha pas la joie qu’elle éprouvait à entendre ces récits et témoignages de la fidélité de Dieu.

Ensuite le train s'arrêta. Ils étaient arrivés. Jusqu'au village, il y avait encore à parcourir cinq kilomètres à pied. Pour prévenir d'éventuelles rumeurs, Frédéric fit le chemin avec une autre villageoise.

Mais son cœur était tellement épris qu'il éprouvait le besoin d’en parler à son père. Il lui fit part des sentiments qu'il avait pour la jeune fille. Ce dernier n’y voyait aucune objection et il  proposa à Frédéric de continuer à fréquenter la jeune fille. Il projeta même d'inviter ses parents qu'il connaissait d'ailleurs bien.

Frédéric trouva que cela allait trop vite et il déclina l'offre. Ce n’est pas qu'il eût changé brusquement d'avis : il aimait toujours la jeune fille mais l'idée de se choisir une compagne pour la vie était trop neuve pour lui.. Il lui fallait du temps pour se familiariser avec l'idée du mariage.

Très rapidement la période heureuse en Alsace prit fin et cela d'une manière brutale. Le front ouest se rapprochait, et les soldats alsaciens furent transférés cette fois à Magdebourg.

Manifestement on ne leur fit pas confiance malgré leurs uniformes allemands. Sans doute craignait-on que s’ils étaient sans surveillance, ils déserteraient. Cette crainte était probablement fondée. Certains se seraient sans doute enfuis, mais pas tous. Pour éviter qu’aucun n’échappe, ils furent conduits comme des prisonniers, par des soldats armés, au-delà de la frontière allemande.

Jusqu'à Francfort, le voyage se passa à peu près sans problème. Arrivés là, il y eut du changement. On les informa que les trains ne roulaient pas. 

Comme on était dimanche, Frédéric alla sur la place de la ville, à la recherche d'une église. Il venait à peine de quitter la gare, cet édifice à coupole endommagé par les bombardements, qu'il entendit des pas qui faisaient penser à une colonne en marche. Y avait-il ici, en dehors d'eux, d'autres soldats qui avaient été arrêtés dans leur voyage ?

Frédéric regarda dans la direction des bruits de pas et découvrit ce qu'on appelait une section d'assaut. Lorsqu'il les vit, il ne sut s'il devait rire ou pleurer. Qu'est-ce qu'on avait bien pu raconter à ces hommes pour qu'ils soient tellement optimistes dans leur marche ? Avaient-ils encore l’intention de gagner la guerre  avec leur équipement primaire ? Ignoraient-ils ce qui se passait au front ? …

Soudain Frédéric vit un cycliste qui roulait dans la  direction  opposée.  Il  l'arrêta  et  demanda    :  «  Pouvez-vous  me dire  où  un  culte  a  lieu  à  proximité ?»… »

Le visage de son interlocuteur s'éclaira : «Venez avec moi, je suis en train de m'y rendre», dit-il. Il descendit du vélo et fîmes le chemin ensemble. Lorsqu'il arriva à l'église, Frédéric vit qu'il s'agissait d'une communauté méthodiste. La dénomination ne le gênait pas pourvu que le message de l’Evangile soit annoncé fidèlement et clairement. Puisque cela était le cas dans cette assemblée, il se sentait libre de participer pleinement au culte.

Au bout d'une demi-heure alors qu’ils étaient en train de chanter et de prier, il y eut une alerte. Rapidement, tous ceux qui étaient venus au culte descendirent dans les caves aménagées de l'église. A peine arrivés là, les premières bombes se mirent à éclater au-dessus de leurs têtes. Ce fut un bruit de tonnerre accompagné d'un tremblement si puissant qu'il semblait que la terre s'effondrait. On pouvait lire la peur sur le visage de nombreux adultes, et les enfants se mirent à hurler.

La parole du jour était le verset neuf du deuxième chapitre du livre du prophète Zacharie : «Je veux, dit l'Eternel, être comme une muraille de feu autour d'eux et je serai glorifié au milieu d'eux». Ce texte revint à l'esprit de Frédéric et il le rappela aux frères et sœurs à haute voix.

Le terrible fracas se rapprochait de plus en plus. Finalement la lumière s'éteignit et de la poussière pénétra dans l'abri. Même Frédéric eut maintenant cette pensée angoissante : «Serait-ce là ma dernière heure sur la terre ?»

Mais il ne se laissa pas dévorer par la peur. Avec les yeux de la foi, la force lui fut donnée de regarder au-delà de l'œuvre de destruction qui faisait rage. Toujours à nouveau, il donna des paroles de réconfort à ses frères et sœurs en Christ, étant obligé d’élever la voix à cause du bruit assourdissant des bombes.

Au bout d'une demi-heure environ, le calme revint. Les paroissiens sortirent et constatèrent que toutes les maisons alentour étaient en ruines, et que seule la petite église était toujours là, presque sans dommage.

Est-ce que des anges avaient monté la garde ? Avaient-ils guidé les pilotes de telle sorte que leurs projectiles n'avaient pas touché la maison de Dieu ? Frédéric en était persuadé, et beaucoup d'autres avec lui.

Finalement l'homme qui l'avait conduit à l'église vint près de lui, et lui dit : «Je vous remercie pour vos paroles réconfortantes et vos prières qui nous ont fortifiées».

Ensuite ils reprirent le chemin du retour, le même qu'à l'aller. Mais cette fois ce ne fut pas sans difficultés. Ils devaient contourner des ruines fumantes, parfois les franchir. Lorsqu'il arriva à la gare, Frédéric fut persuadé en son fort intérieur : «Si tu n'avais pas été au culte, tu ne serais plus en vie». Le quartier de la gare était, en effet, entièrement détruit, et il y avait beaucoup de morts.

Bien qu'avec du retard et quelques ennuis, nous atteignîmes enfin le but de notre voyage, Magdebourg. Après un bref séjour on considéra Frédéric comme assez en forme pour être à nouveau «bon pour le service». Là-dessus, il fut invité à fréquenter l'école des officiers.

Sans réfléchir longuement, il demanda à être rayé de la liste. Naturellement, cela ne fut pas aussi simple qu'il le pensait. On s'informa du motif de son refus. Frédéric expliqua en toute sincérité, qu'il ne s'était jamais présenté volontairement pour un tel service, et qu'il ne comptait pas s’y soumettre.

On considéra ceci comme un refus de service, et on lui dit : «Dans trois jours vous serez au front ! Tenez-le vous pour dit !»

Effectivement trois jours plus tard, il était dans le train. Mais on ne l'emmena pas directement au front, il devait aller d'abord au Danemark pour une formation spéciale. Ce voyage fut interrompu à Hambourg, un dimanche. Aucun train ne partait plus de là, du moins ce jour-là, et chacun pouvait utiliser ce laps de temps à sa guise.

Frédéric se demanda s'il devait faire comme les autres et se promener simplement dans la ville. Mais cela lui apparut comme du temps gaspillé, et il eut le désir d'être dans un lieu de culte, réuni avec des frères et des sœurs en la foi.

«Ce serait beau», pensait-il, «si au cours de ce culte la Sainte Cène était célébrée». Comme Hambourg était aussi démoli et qu'on ne trouvait plus le nom des rues, Frédéric demanda à un passant s'il y avait un lieu de culte dans le secteur. L'homme l'envoya à la «Michels Kirche», l'église Saint Michel.

Lorsqu'il y arriva, le culte avait déjà commencé. Frédéric se faufila dans un recoin. Là, il resta tranquillement debout, et écouta attentivement la prédication. A la fin le pasteur annonça que le culte serait suivi d'un service de Sainte Cène. Le visage de Frédéric rayonna de bonheur. Sans intervention de sa part, son désir profond était exaucé. 

Comme il n'avait pas envie non plus de se promener en ville l'après-midi, préférant assister à un autre culte, il alla trouver le pasteur après la Sainte Cène et lui présenta sa requête. Celui-ci se rappela que l'église évangélique libre célébrait des cultes l'après-midi.

Mais Frédéric ne connaissait pas le chemin pour se rendre dans cette assemblée. Aussi le pasteur pria-t-il son sacristain de le conduire. Là, Frédéric entendit une prédication qui lui apporta le réconfort et la force dont il avait besoin pour les jours à venir.

Après le culte, une diaconesse vint lui parler. Cela lui fit du bien de voir que des frères et sœurs en la foi ne se contentaient pas uniquement d’assister au culte avec lui mais qu’ils se préoccupaient aussi de son sort. Lorsqu'on est loin de son pays, d'autant plus que ce n'est pas de bon gré, on apprécie tout spécialement une telle sympathie.

Au cours de la conversation avec cette diaconesse Frédéric décrivit sa situation et déclara qu'il devait passer la nuit à la gare, dans le train. Cela horrifia son interlocutrice. Elle pensait qu'un frère en la foi, avait droit à un meilleur hébergement. Après tout, le Seigneur Jésus n'avait-il pas recommandé à ses disciples d'être hospitaliers ?

En peu de temps, elle trouva à Frédéric un lieu où passer la nuit. Il fut hébergé par une sœur en la foi qui avait reçu quelques jours auparavant la triste nouvelle que son mari était porté disparu en Russie. Frédéric la réconforta à l’aide de la Parole de Dieu et eut une communion de prière avec elle. Oui, ils chantèrent même ensemble des cantiques, ressentirent une grande paix malgré leur chagrin.

Le lendemain Frédéric continua son voyage vers le Danemark, avec ses camarades. Ce qu'on essaya de leur apprendre là n'ajoutait pas grand chose aux connaissances de ces soldats qui avaient déjà une expérience assez importante du front. Ils supportèrent patiemment cette formation, car ils se disaient : tant que nous sommes là, nous sommes mieux lotis que sous la fusillade directe de l'ennemi.

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