Loi #séparatisme: de la séparation en 1905 au séparatisme en 2021


La Loi contre le séparatisme est à présent votée ; il reste au Conseil constitutionnel de délibérer sur le bien-fondé de certaines de ses dispositions au regard de la Constitution. Symbole du climat politique nauséabond du début de l’année, cette loi proclamant lutter contre le «séparatisme» présente toute une batterie de mesures censées, notamment, garantir la neutralité du service public, lutter contre la haine en ligne ou encore encadrer l’instruction en famille. Sans compter un contrôle accru des cultes au nom même de la laïcité censée originairement garantir la séparation des pouvoirs…. La RTBF jette un regard lucide sur l’évolution sociétale de son voisin, la France. Nous reproduisons ici quelques extraits de son article clairvoyant.

Une loi paradoxale : mieux contrôler le culte au nom de la laïcité

 Jean Baubérot, historien et sociologue, fondateur de la sociologie de la laïcité affirmait dans un entretien accordé au journal Le Monde : "Le paradoxe, c’est que le gouvernement affirme renforcer la laïcité, alors qu’il porte atteinte à la séparation des religions et de l’Etat. Avec ce texte, il accorde un rôle beaucoup plus important à l’Etat dans l’organisation des religions et de leurs pratiques, et renforce le pouvoir de contrôle de l’autorité administrative, aux dépens de celui de l’autorité judiciaire ».

Le Parlement adopte définitivement le projet de loi contre le séparatisme

Avis du CPDH :

Quel doit-être le prix de la sécurité et d'une lutte légitime contre le terrorisme qui s'est malheureusement muée en "lutte contre tous les séparatismes" ? La réponse du Gouvernement est sévère ! 

Prenez le temps de lire cet article qui résume convenablement les principales dispositions d'une loi qui ne fait pas que conforter les principes de la République, mais en édicte de nouveaux qui réduisent la liberté de l'instruction ou bien la liberté de pensée, d'expression et de conscience.

Quel doit-être le prix de la sécurité et d'une lutte légitime contre le terrorisme qui s'est malheureusement muée en "lutte contre tous les séparatismes" ? La réponse du Gouvernement est sévère ! 

Les principales dispositions de cette loi réduisent la liberté de l'instruction aussi bien que la liberté de pensée, d'expression que de conscience.

Pour Jean-Philippe Schreiber, professeur à l’ULB, "cette immixtion du politique dans les affaires religieuses contrevient aux principes de laïcité, au nom de la laïcité".

Cette loi contre le séparatisme est décrite comme "une loi pour la liberté" par ses défenseurs et contre les idéologies qui s’opposent à la république. Pour Jean Leclercq, professeur de philosophie à l’UCLouvain, "nous sommes passés de la séparation en 1905 au séparatisme en 2021, on assiste donc à une atrophie de la République, de l’idéal républicain".

En France, il y a cette idée qu’une bonne religion est une religion qui ne se voit pas

Principes républicains - Vote final - Communiqué du CNEF

Le Projet de loi confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme, a été adopté, par un vote final de l'Assemblée nationale hier après-midi, le 23 juillet 2021.

Touchant directement aux libertés fondamentales des Français -liberté de pensée, de conscience et de religion, liberté d’expression, liberté d’association, liberté d’éducation-, le projet de loi a été examiné en procédure accélérée devant l’Assemblée nationale et le Sénat, après son dépôt par le gouvernement le 9 décembre 1905, date symbolique de la laïcité française.

Loin d’emporter le consensus entre les deux chambres, comme l’a montré l’échec de la commission mixte paritaire à l’issue de la première lecture, le texte n’a été qu’amendé à la marge par rapport au projet initial du gouvernement. Il vient, selon nous, secouer le pacte laïque.

Dès le début du processus législatif, le CNEF s’est engagé dans une démarche constructive auprès du gouvernement et des parlementaires en exprimant des réserves sérieuses et des propositions d’amendements. (Voir les communiqués du CNEF.)

Il s’est à plusieurs reprises inquiété du basculement vers une laïcité de surveillance qui annonce un changement profond des rapports entre l'État et les cultes. Il est inquiet aussi des contraintes administratives qui vont peser lourdement sur les associations exerçant le culte. Les impératifs de sécurité du moment ne sauraient justifier un changement d’une telle ampleur. Si les associations sont directement concernées, ce sont aussi tous les fidèles qui se sentent ainsi mis au banc des présumés suspects.

La nouvelle loi modifie en effet de manière substantielle la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État et particulièrement le régime des associations qui exercent le culte en France (associations cultuelles, associations mixtes, associations de droit local en Alsace Moselle). Elle instaure un cadre renforcé de surveillance de l’exercice du culte par les représentants de l'État et multiplie les obligations administratives pour les associations en aggravant la responsabilité de leurs dirigeants.

Tout à l’inverse de garantir le libre exercice des cultes, comme son titre II le prétend, la nouvelle loi vient en réalité le restreindre de manière excessive et finalement le menacer. Le glissement vers un contrôle omniprésent de l’Etat sur la vie des cultes n’est pas un bon signal pour les libertés individuelles en France.

Le CNEF réaffirme son désaccord face à une nouvelle loi modifiant de manière démesurée la loi du 9 décembre 1905 en sa lettre et son esprit. La laïcité française s’en trouvera défigurée, à moins que le Conseil constitutionnel, dans sa sagesse, ne lui redonne ses contours, en taillant des équilibres appropriés à la fois à notre temps et à la juste distance entre l’Etat et les Cultes.

CNEF - juillet 2021

Pour certains chercheurs, il semble que la revendication de certaines communautés, notamment la communauté musulmane, vient contrecarrer le discours républicain. Des revendications qui semblent mettre au défi la façon dont se pense la République française. Elle n’est qu’"une et indivisible". Elle n’accepte donc pas une revendication identitaire particulière.

Cela s’inscrit également dans une tradition de méfiance à l’égard des pouvoirs religieux, une forme d’anticléricalisme portée comme un étendard depuis le XVIe siècle en France. Depuis la révolution française jusqu’à la fin du concordat au début du XXe siècle, "il y a un souci ancien d’indépendance vis-à-vis des religions et on ne suit pas de morale religieuse. L’Etat a un rapport direct avec les individus. Leur émancipation repose sur la république et il y a une méfiance à l’égard des grands principes doctrinaux qui pourrait les influencer", décrypte Valentine Zuber qui ajoute : "En France, il y a cette idée qu’une bonne religion est une religion qui ne se voit pas".

Or, depuis une trentaine d’années, "à partir des années 1990 la laïcité française devient défensive lorsque les musulmans, nés et socialisés en France, commencent à revendiquer une légitimité d’existence", souligne Samim Akgönül, directeur d’études turques à l’université de Strasbourg. Une revendication et une tradition de méfiance à l’égard de ce qui représente le pouvoir religieux qui conduit les autorités politiques à opter pour une posture de défense, indiquent les experts.


Vers une "intolérance" ?

Ainsi, on assiste en France, depuis une trentaine d’années, à une forme d"intolérance" de plus en plus accrue. "Depuis 2004 (loi sur le port du voile dans l’espace public, sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy, ndlr) et avec ce projet de loi, on est dans une version intolérante de la laïcité. Une logique selon laquelle il faut protéger l’Etat contre toute ingérence religieuse".

"La laïcité évolue envers une laïcité de contrôle. On revient désormais sur des acquis en réaction à l’islam qui fait partie du paysage politique et identitaire", analyse Valentine Zuber.

Or, selon cette historienne, "d’après le système juridique laïque en France, c’est l’Etat qui doit être laïc et non la société. Or là, on veut appliquer aux individus et à la société une forme de modération. On change de paradigme, on veut aller vers une société neutre. Ce qui, selon moi, est dangereux. Si la liberté d’expression est minorée, c’est un recul de la démocratie et du pluralisme".

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Extraits de l’article de Johanna Bouquet

RTBF - 28 juillet 2021

Trop de «contraintes administratives», admet Bruno Lemaire

devant un parterre de 400 jeunes protestants

Revenant enfin sur «la loi confortant le respect des principes républicains», loi très mal vécue dans les communautés protestantes, le président de la Fédération a assuré que «les questionnements» protestants «ne sont pas une contestation du gouvernement, ni de sa légitimité à doter l'État des moyens pour garantir la sécurité et l'ordre public» mais une alerte sur le fait que cette loi «touche à l'expression de la liberté religieuse». En particulier avec «la multiplication de contraintes administratives» qui sont «une contrainte souvent surdimensionnée» pour des «associations locales tenues par des bénévoles».

D'où sa demande de «faire un bilan de l'application de la loi CRPR» pour «nourrir la concertation avec les autorités de l'État» car «c'est parce que nous sommes loyaux vis-à-vis de la République et attaché à une laïcité garante de la liberté de conscience et de la liberté religieuse, que nous portons ce questionnement.»

RÉFORME , le 29 novembre 2022

Le Figaro - le 29 novembre 2022


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