Confrontée à la guerre en Ukraine, l’Église mennonite monte au front

Rappel des principes

On connaît les Mennonites pour leur pacifisme. Face à la guerre en Ukraine, les responsables actuels de cette Eglise issue de la Réforme radicale du 16e siècle,  ne dérogent pas  à la règle.

« Lorsque Pierre sort son épée, Jésus lui ordonne de la ranger », écrit le président de la Conférence mennonite mondiale dans une lettre ouverte au patriarche orthodoxe russe Kirill.

Pour lui, « les chrétiens des deux côtés de ce conflit sont à leur tour éprouvés. Allons-nous prêter allégeance au Royaume de Dieu ou nous incliner devant les idoles de la nation, de l’empire et de la guerre ? »

Les directeurs exécutifs pour les États-Unis et le Canada enfoncent le clou dans une désapprobation sans faiblesse de la guerre : 

« Nous sommes tous complices de systèmes de violence et d’oppression. Il existe des approches non violentes pour prévenir la guerre et travailler à la paix même pendant la guerre. »

Sur le terrain, effort d’adaptation

Confrontée au défi de la guerre, l’Eglise mennonite en Ukraine fait preuve d’une grande capacité d’adaptation. Ses membres s’impliquent tout naturellement dans l’aide humanitaire quand ils ne prennent pas les armes eux-mêmes face à la patrie en danger. Relevons d’autre part que les aumôniers protestants sont issus en grande partie des rangs de cette Eglise historiquement pasifiste.

Cette Église, est-elle pour autant en train de mettre en veilleuse sa vocation première et d'oublier sa prédilection pour le pacifisme évangélique ?

Il serait prématuré de répondre à cette question. Peut-être convient-il d’entendre le témoignage de ses dirigeants actuels lucides et pragmatiques face au défi de la guerre :

La guerre invite à la repentance

« L’Église doit prêcher la non-violence avant la guerre, et la réconciliation en tout temps. Mais une fois la guerre commencée, il serait naïf d’appeler au désarmement face à un génocide. Les conflits armés représentent un échec de l’Église mondiale. Ils appellent tous les croyants à se repentir pour leur part dans l’échec à les prévenir.

Johann Matthies

8Les uns comptent sur leurs chars de guerre,

d'autres sur leurs chevaux ;

nous, nous comptons sur le Seigneur notre Dieu.

9Eux s'écroulent et tombent à terre ;

nous, nous résistons.

10Seigneur, viens au secours du roi,

et qu'il nous réponde

quand nous l'appelons à l'aide !

Psaume 10:8-10 NFC


Ne pas tuer, mais résister

« La plupart des gens dans nos Églises ne prendraient pas une arme, mais nous ne condamnerons pas un soldat ».

Maxym Oliferovski, pasteur de l’AMBCU et directeur du New Hope Center à Zaporijjia, actif pour loger les personnes déplacées, fournir des secours et faciliter les évacuations.

«On se défend, on ne prend pas aux autres, de ce point de vue c’est une guerre juste. Mais quand il y a un conflit, tout ce qui est mauvais dans la société apparaît. Se défendre, c’est être honnête. Dans la Bible, la lâcheté est souvent un péché. Le plus grand amour pour un chrétien, c’est de donner sa vie. Vladimir Poutine a d’ailleurs cité Jésus dans un de ses discours : “Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.” Mais dans ce contexte, c’est une manipulation de la parole de Dieu. Car le service du Christ, c’est le service pour le peuple. Ce n’est pas seulement au nom de Dieu qu’il a donné sa vie, c’est pour le peuple. Jésus dit aussi: “Ce que vous avez fait aux plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait.” Et là, on voit bien ce que Poutine fait.»

«Cette guerre en Ukraine nous oblige à préciser quel pacifisme l’on défend. Si quelqu’un vient et viole ta femme, tu vas regarder et prier, ou tu prends un bâton et tu tapes? Si tu es témoin d’une injustice dans la rue, tu passes ton chemin ou tu vas défendre la victime?»

Roman Rakhuba, aumônier militaire et directeur de l’association des Églises mennonites d’Ukraine, va dans le même sens.


Armés pour défendre, non pour détruire

«C’est facile d’être pacifiste et de le proclamer quand il y a la paix partout, souligne. Mais quand la guerre touche ta famille, ta maison, tes amis… Beaucoup alors reconsidèrent cette notion de pacifisme. Ne pas attaquer, oui, mais défendre tes proches, c’est légitime. Je ne juge pas ceux qui sont devenus aumôniers militaires, c’est une grâce. Je ne juge pas les mennonites qui ont choisi de devenir soldats. Certains l’ont fait. Je bénis tout le monde. Je leur demande de rester chrétiens, de tendre la main à l’ennemi. On n’est pas armés pour détruire mais pour défendre.»

Alexey Makaiov, pasteur déplacé avec sa communauté en Transcarpatie 

«Nous sommes actuellement cinq à remplir ce service de prière et de soutien spirituel des soldats. Nous collectons aussi des fonds pour acheter des gilets pare-balles, des casques, du matériel médical. Nous faisons aussi beaucoup d’aide humanitaire. Nous avons pour principe qu’il ne faut pas tuer, mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas résister.

Maxym Oliferovski

Prévoir d’ores et déjà l’après-guerre : enseigner et vivre le pardon

« Notre société va bientôt être pleine de personnes en colère et traumatisées. En tant que sel et lumière dans la communauté, nous devons les aider à pardonner à leurs ennemis ».

Maxym Oliferovski, pasteur de l’AMBCU et directeur du New Hope Center à Zaporijjia, actif pour loger les personnes déplacées, fournir des secours et faciliter les évacuations.

RÉFORME du 4 mai 2022 Christianity Today en français - avril 2022

© jp.w 2024 - Contact