La résistance est d'actualité

La résistance est de mise avec la montée des violences et des radicalisations et les crispations identitaires



Dans les colonnes du journal LA MARSEILLAISE du 16 septembre 2020, Alain Chouraqui, Président de la Fondation du Camp des Milles-Mémoire et éducation, pointe du doigt la gravité de la situation présente : la démocratie est 5 fois plus en danger qu’il y a trente ans en raison de la montée des violences et des radicalisations qui sont un élément d’accélération considérable et d’autre part les crispations identitaires qui dans l’Histoire ont conduit au pire. Ce sont elles qui ont conduit à la Shoah, au génocide des Arméniens ou des Tutsi.  Donc quand une société voit les crispations identitaires prendre une place considérable dans sa vie publique, là il y a un énorme danger.  Selon l’indice, entre 1990 et 2019, les risques pour la démocratie ont été multipliées par 5.

Il faut évidemment éviter d’en arriver à un régime autoritaire en France et les résistances sont possibles. 

Après les attentats de 2015, il y a eu pendant deux ans une baisse très nette de l’indice des risques pour la démocratie, alors qu’on aurait pu imaginer un coup d’accélérateur pour l’engrenage. 

Les Français ont montré leur résistance, leur résilience et n'ont en majorité pas joué ce jeu-là. Elle a été appuyée par les positions très claires des pouvoirs publics qui ont alerté sur le risque d'amalgame, entre autres. On est maintenant dans un engrenage qui est inquiétant mais heureusement on peut lui résister grâce notamment à la prise de conscience démocratique et à l'éducation.

Faut-il assister à des drames pour voir naître une prise de conscience ?

A C : Je le crains car nous sommes dans une société tellement pressée, portée sur l’immédiat, qu'il faut parfois des électro-chocs. D'ailleurs on peut se demander si la crise de la Covid ne peut pas jouer un rôle de cet ordre dans les deux sens. C’est-à-dire d'un côté la possibilité de prendre du recul sur les grands problèmes et de l'autre habituer hélas les populations à des restrictions de liberté même si elles sont aujourd’hui nécessaires. …

Depuis quelques temps nous voyons une libération de la parole raciste et antisémite qui s'est normalisée, quelle analyse peut-on faire au niveau de la société ?

A.C. : Je pense que cela fait partie des signaux de brutalisation de la société. Il y a un moment où les sociétés deviennent plus violentes dans leurs comportements, leurs échanges et c'est un moment inquiétant.

Cela signifie que les extrémismes sont en train de l'emporter et cela nourrit les passions alors que la démocratie a besoin de raison, pour le dialogue, les échanges et même les confrontations.

La Marseillaise, 16 septembre 2020

MIS À JOUR LE 22 AVRIL 22 avril 2022

Le Camp des Milles connait « les visages de la haine »

Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers, nus et maigres tremblants dans ces wagons plombés ... » Dès ces premiers coups de tambours, la chanson « Nuit et brouillard » de Jean Ferrat choisie pour ouvrir cette cérémonie du 21 avril 2022 au pied du Wagon- Souvenir des Milles, organisée pour la journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation, a rapidement plongé la petite assemblée réunie autour d'Alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles - Mémoire et Éducation, dans une autre ère.

Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers, nus et maigres tremblants dans ces wagons plombés ... » Dès ces premiers coups de tambours, la chanson « Nuit et brouillard » de Jean Ferrat choisie pour ouvrir cette cérémonie du 21 avril 2022 au pied du Wagon - Souvenir des Milles, organisée pour la journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation, a rapidement plongé la petite assemblée réunie autour d'Alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles - Mémoire et Éducation, dans une autre ère.

« Peu importe que l'on nous accuse de diabolisation, car nous savons jusqu'où mènent l'intolérance et l'exclusion au pouvoir, nous en combinons la dynamique meurtrière. »


Une ère que Denise Toros-Marter, 94 ans depuis quelques jours, présidente de l'Amicale des Déportés d'Auschwitz Marseille-Provence, et coprésidente de l'Association du Wagon-Souvenir et du Site-Mémorial du camp des Milles, pensait révolue. La présence pour la troisième fois en l'espace de vingt ans d'un candidat d'extrême droite au second tour de la présidentielle, aux portes du pouvoir, est pourtant la preuve que non. La bête immonde est toujours là, de moins en moins tapie dans l'ombre, décomplexée. Jusqu'à faire venir, ce jeudi, une de ses élues régionales à la cérémonie.

Une ère que Denise Toros-Marter, 94 ans depuis quelques jours, présidente de l'Amicale des Déportés d'Auschwitz Marseille-Provence, et co-présidente de l'Association du Wagon-Souvenir et du Site-Mémorial du camp des Milles, pensait révolue. La présence pour la troisième fois en l'espace de vingt ans d'un candidat d'extrême droite au second tour de la Présidentielle, aux portes du pouvoir, est pourtant la preuve que non. La bête immonde est toujours là, de moins en moins tapis dans l'ombre, décomplexée. Jusqu'à faire venir, ce jeudi, une de ses élues régionales à la cérémonie.

Une dynamique meurtrière

Alors, malgré ses pieds brûlés au 3e degré par le froid quand elle avait 16 ans, Denise, arrêtée et «vendue à la Gestapo» avec toute sa famille, par« des Français», pour «50 francs par tête de juifs» s'est levée de son fauteuil pour lire un appel publié il y a quelques années de cela déjà, dans Le Monde à l'occasion d'une « autre grande échéance électorale». Un appel à «aller voter».

Alors, malgré ses pieds brûlés au 3e degré par le froid quand elle avait 16 ans, Denise, arrêtée et «vendue à la Gestapo» avec toutes sa famille, par « des Français», pour «50 francs par tête de juifs» s'est levée de son fauteuil pour lire un appel publié il y a quelques années de cela déjà, dans Le Monde à l'occasion d'une « autre grande échéance électorale». Un appel à «aller voter».

Voter contre« les visages de la haine». «Nous les reconnaissons bien dans notre pays. Nous avons connu, subi et combattu le régime de Vichy et sa politique d'extrême droite, autoritaire, nationaliste, xénophobe et antisémite. Aujourd'hui, en France et en Europe, nous voyons monter à nouveau cette xénophobie, ce nationalisme, ces racismes et cet antisémitisme, encouragés part des personnalités et des partis extrémistes, avec leur cortège de stigmatisation, leurs menaces contre la paix civile, entre français.» Un texte publié en 2002 lorsque Jean-Marie Le Pen, le père de Marine, accéda au second tour de la présidentielle. Un séisme politique, alors, qui fit descendre la France dans les rues. En cette veille de second tour, leur calme n'en est que plus saisissant...

Voter contre« les visages de la haine». «Nous les reconnaissons bien dans notre pays. Nous avons connu, subi et combattu le régime de Vichy et sa politique d'extrême droite, autoritaire, nationaliste, xénophobe et antisémite. Aujourd'hui, en France et en Europe, nous voyons monter à nouveau cette xénophobie, ce nationalisme, ces racismes et cet antisémitisme, encouragés part des personnalités et des partis extrémistes, avec leur cortège de stigmatisation, leur menaces contre la paix civile, entre français.» Un texte publié en 2002 lorsque Jean-Marie Le Pen, le père de Marine, accéda au second tour de la présidentielle. Un séisme politique, alors, qui fit descendre la France dans les rues. En cette veille de second tour, leur calme n'en est que plus saisissant...

«Nous savons très bien que tous ceux qui sont attirés par les extrêmes ne sont pas eux-mêmes des extrémistes, mais ce fut le cas de beaucoup de Français ou d'Allemand séduits un moment par Pétain ou Hitler, dont ils n'imaginaient pas les horreurs futures» reprend Denise.

«Nous savons très bien que tous ceux qui sont attirés par les extrêmes ne sont pas eux-mêmes des extrémistes, mais ce fut le cas de beaucoup de Français ou d'Allemand séduits un moment par Pétain ou Hitler, dont ils n'imaginaient pas les horreurs futures» reprend Denise.

Pour elle, l'horreur prendra la forme d'un numéro. Le 74. Celui du convoi qui l'amena avec sa famille, le 21 mai 1944 du camp de Drancy à Auschwitz. Elle en tira un récit, « j'avais 16 ans à Pitchioï». Un livre précieux quand toute une partie de la population française répond aujourd'hui « Pourquoi, pas? On n'a jamais essayé» avant de s'en aller glisser un bulletin d'extrême droite dans les urnes du pays.

Pour elle, l'horreur prendra la forme d'un numéro. Le 74. Celui du convoi qui l'amena avec sa famille, le 21 mai 1944 du camp de Drancy à Auschwitz. Elle en tira un récit, « j'avais 16 ans à Pitchioï». Un livre précieux quand toute une partie de la population française répond aujourd'hui « Pourquoi, pas? On n'a jamais essayé» avant de s'en aller glisser un bulletin d'extrême droite dans les urnes du pays.

«Peu importe que l'on nous accuse de diabolisation, car nous avons connu les diables ordinaires qui peuvent préparer l'enfer, nous savons jusqu'où mène l'intolérance et l'exclusion au pouvoir, nous en combinons la dynamique meurtrière».

Une dynamique meurtrière qui prendra le visage de cette centaine d'enfants et d'adolescents, âgés de 1 à 17 ans, dont les noms, prénoms et âges, seront égrenés comme chaque année dans un silence plomb, sous le regard fixe des portes drapeaux plantés à quelques mètres de là.

«Dans l'histoire, beaucoup d'électeurs n'ont pas imaginé l'enchaînement des actions et réactions que leur vote ou leur abstention ont déclenchées, ni jusqu'à quelles extrémités peut conduire une tentation autoritaire» reprend Alain Chouraqui, décidant dans le contexte particulier des célébrations de cette année de consacrer sa prise de parole à la lecture d'un appel « des mémoriaux et institutions mémorielles » dont sa fondation est signataire au côté d'une douzaine d'autres institutions et associations.

«Dans l'histoire, beaucoup d'électeurs n'ont pas imaginé l'enchaînement des actions et réactions que leur vote ou leur abstention ont déclenchées, ni jusqu'à quelles extrémités peut conduire une tentation autoritaire» reprend Alain Chouraqui, décidant dans le contexte particulier des célébrations de cette année de consacrer sa prise de parole à la lecture d'un appel « des mémoriaux et institutions mémorielles » dont sa fondation est signataire au côté d'une douzaine d'autres institutions et associations.

Un texte publié dans la presse invitant les citoyens à «un vote républicain et démocratique» meilleur moyen selon eux d'éviter «l'accès au pouvoir d'un régime intolérant et extrémiste et de ses dérives autoritaires voire mortifères».

Un texte publié dans la presse invitant les citoyens à «un vote républicain et démocratique» meilleur moyen selon eux d'éviter «l'accès au pouvoir d'un régime intolérant et extrémiste et de ses dérives autoritaires voire mortifères».

«Cette histoire-là est hélas aussi une histoire française. Les régimes autoritaires ont déjà été essayés et ont conduit à aggraver le sort des peuples en colères qui leur avaient confié leur protection. Aujourd'hui nous le savons et nous devons agir autrement»

«Cette histoire-là est hélas aussi une histoire française. Les régimes autoritaires ont déjà été essayés et ont conduit à aggraver le sort des peuples en colères qui leur avaient confié leur protection. Aujourd'hui nous le savons et nous devons agir autrement».

Christophe Casanova

La Marseillaise BDR Marseille - vendredi 22 avril 2022


Le rôle de chacun pour faire reculer le front du totalitarisme sociétal

PRENDRE DU RECUL AVANT DE PRENDRE LE MUR !

« L’engagement associatif, syndical, religieux ou politique est une manière de faire vivre la démocratie à l’endroit où elle doit vivre avant tout ». Les uns avec les autres, plutôt que les uns contre les autres. Le chercheur alerte vigoureusement, à partir des engrenages mis au jour dans l’histoire, sur « le danger sérieux qui guette la démocratie française de glisser vers un régime autoritaire », tout en soulignant le rôle de chacun. « Les politiques ne sont que  l’expression d’un mouvement sociétal porté par les citoyens et qui ne peut être freiné que par les citoyens. » 

Prendre sa part peut commencer, signale Alain Chouraqui, par le vote mais aussi par le refus des messages haineux, entendus autour de nous ou lus sur Internet. Les sujets qui fragilisent notre vie en société sont assez variés pour que chacun puisse choisir de s’impliquer, à son échelle. Une manière de retisser le lien social, et d’y prendre sa modeste mais indispensable place. « Nous serons certainement tous d’excellents résistants une fois que le pire sera là, interpelle Alain Chouraqui. Mais il est plus facile de s’engager aujourd’hui et de prendre du recul... avant de prendre le mur. » 

Alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles (Aix-en-Provence)

TIRÉ DE LA CROIX-L’HEBDO du 15 avril 2022

© jp.w 2024 - Contact