De la résistance à la vigilance



Résister, c’est agir, faire quelque chose qui se traduise en faits positifs, en actes raisonnés et utiles. » Cet appel du journal « Résistance » du 15 décembre 1940 a été rédigé par Boris Vildé, le chef d’un des tout premiers groupes clandestins de lutte contre l’occupant allemand, entré dans l’histoire sous le nom de « réseau du musée de l’Homme ».

Que des femmes et des hommes, n’acceptant pas la débâcle, mais surtout rejetant de toutes leurs convictions l’idéologie nazie, se réunissent pour lutter dans ce haut lieu de la science anthropologique ne fait que s’inscrire dans une logique scientifique et politique née une décennie plus tôt. Le directeur du musée, Paul Rivet, est l’un des premiers à prendre conscience de la menace qui pèse sur l’Europe, et son institution devient un bastion de l’opposition aux thèses fascistes.

A l’automne 1940, le groupe conduit par Boris Vildé, Yvonne Oddon et Anatole Lewitsky développe ses activités : des prisonniers de guerre sont exfiltrés, des renseignements sont collectés à destination de Londres et la revue « Résistance » est imprimée dans les sous-sols du musée. Si Paul Rivet échappe de justesse à la Gestapo, les membres du réseau sont, eux, arrêtés au début 1941. Jugés et condamnés à mort, les sept hommes sont fusillés au mont Valérien le 23 février 1942 ; les trois femmes sont déportées dans des camps en Allemagne.

L’action de nos devanciers du musée de l’Homme est un exemple à suivre, celui de scientifiques qui agissent dans la cité. Pour nous, qui travaillons au sein du Muséum national d’histoire naturelle, une institution publique, laïque et engagée, il est essentiel que nous apportions notre expertise de chercheurs dans les sciences humaines et naturalistes. Aussi est-ce bien avec le recul nécessaire lié à nos disciplines que nous pouvons mettre en perspective l’actuelle crise liée à la pandémie de la Covid-19. Pas d’anachronisme, ni de comparatisme abusif, 2020 n’est pas 1940. Pourtant, la ligne Maginot de nos certitudes dans un progrès sans limites comme de la prétention de notre espèce à dominer le monde vivant a été ébranlée, en peu de temps, par un virus inconnu. Pays confiné, économie à l’arrêt, population inquiète, gouvernement embarrassé, information débridée. Soudain les personnels de la santé sont appelés à la rescousse et envoyés au front, où l’on découvre l’impréparation des troupes face à un ennemi pourtant annoncé. Dans cet emballement, le discours scientifique peut être subverti, manipulé, instrumentalisé.

Résister, c’est agir, faire quelque chose qui se traduise en faits positifs, en actes raisonnés et utiles.

Notre mission première est de produire un discours de vérité nourri de faits, sachant tirer des leçons du passé et battant en brèche les idées reçues. Sans cesse, il nous faut proclamer l’unité de notre espèce comme le respect des droits fondamentaux de la nature dont les humains font partie intégrante.

Ce péril sanitaire remet soudain au centre les débats sur l’écologie des maladies infectieuses, l’émergence de virus issus de la destruction de l’environnement, le dérèglement climatique… Tout à coup, l’humain se rappelle qu’il est un animal parmi d’autres et que les grandes pandémies sont des zoonoses, des maladies qui se transmettent d’espèce à espèce. De même, l’on redécouvre la vulnérabilité de nos sociétés, triomphantes de technologie, impuissantes face à un ennemi naturel microscopique. Une telle crise a provoqué un état de sidération, entre incrédulité et panique. Ces peurs ouvrent la porte à toutes les suspicions : origine complotiste de la maladie, remise en cause de la parole des experts, rejet de l’étranger porteur de maladie. 

Plus que jamais, il nous appartient de mener notre mission première de produire un discours de vérité nourri de faits, sachant tirer des leçons du passé et battant en brèche les idées reçues. Sans cesse — et l’actualité du mouvement Black Lives Matter l’atteste — il nous faut proclamer l’unité de notre espèce comme le respect des droits fondamentaux de la nature dont les humains font partie intégrante. Avec une telle situation inédite, une prise de conscience de l’humanité est indispensable pour changer les paradigmes de son évolution qui nous mène droit à de nouvelles catastrophes sanitaires et environnementales.

 publié le 20200614

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